Les espoirs du président Joe Biden de resserrer les liens avec l’Amérique latine, sur des sujets cruciaux comme l’immigration, ont été sévèrement douchés lundi par son homologue mexicain qui a décidé de boycotter le ” Sommet des Amériques ” ouvert à Los Angeles pour protester contre l’exclusion de Cuba, du Venezuela et du Nicaragua.
La rencontre, censée afficher l’exemplaire coopération entre les Etats-Unis et ses voisins, risque désormais à l’inverse de mettre en lumière toutes les divisions d’une région où l’influence américaine dans les secteurs économiques et diplomatiques se heurte de plus en plus fréquemment à la Chine.
Cuba, le Nicaragua et le Venezuela ne sont pas invités au Sommet des Amériques, a confirmé lundi à l’AFP un responsable de la Maison Blanche soulignant ” les réserves ” des Etats-Unis face ” au manque d’espace démocratique et au respect des droits humains ” dans ces trois pays.
L’absence de plusieurs dirigeants à ce sommet des Amériques est-elle le signe d’un déclin de l’influence des États-Unis en Amérique latine ?
Frédéric Thomas : “C’est en tout cas un revers diplomatique pour les États-Unis. Lors de sa campagne électorale, Joe Biden avait dit qu’il renverserait la vapeur par rapport à Donald Trump qui avait tourné le dos au continent latino-américain. Joe Biden avait promis de réaffirmer l’intérêt des États-Unis pour l’Amérique latine. Ça n’a pas été le cas. Ce sommet était l’occasion de souligner le rôle et la présence des États-Unis sur le continent latino-américain. On voit que c’est déjà un échec, avec, a contrario, l’affirmation d’un régionalisme latino-américain. C’est une défaite partielle pour l’hégémonie des États-Unis sur le continent.”
Les propositions américaines ne sont pas susceptibles de convaincre ?
Frédéric Thomas : “Ils n’ont pas grand-chose à proposer aux pays latino-américains. Il n’y a pas de nouveau programme d’aide suite à la pandémie. La question de la migration répond avant tout à un problème de politique intérieure des États-Unis, et pas aux nécessités des pays latino-américains. Les États-Unis n’ont pas grand-chose à offrir, et ce qu’ils mettent en avant, comme Trump l’a fait, c’est América first.”
Quelles seront les conséquences de l’absence de plusieurs dirigeants sur les décisions qui pourront être prises lors du sommet ?
Frédéric Thomas : “Le Mexique est tout de même le premier partenaire commercial des États-Unis. Il joue un rôle clé dans les migrations. En son absence, on peut s’attendre à peu de grands accords ou de renouveau, mais à des déclarations, sans nouvelle politique d’accord. L’appui à la démocratie est la raison invoquée pour laquelle Venezuela, Cuba et Nicaragua n’ont pas été invités. Mais le fait que Bolsonaro soit présent, ainsi que les présidents haïtien et colombien qui ont mis en cause l’Etat de droit dans leurs pays montre que ce discours-là ne passe plus. Donc, il ne faut pas en attendre grand-chose de ce sommet des Amériques, je pense.”
Ce désintérêt américain a-t-il laissé la place à une influence croissante de la Chine dans la région ?
Frédéric Thomas : “Oui, cela fait des années que la Chine est devenue le premier partenaire commercial du Brésil, du Chili, du Pérou, de l’Uruguay. Et le deuxième en termes d’importations de nombreux pays d’Amérique latine. Ces échanges commerciaux avec la Chine, contrairement à ceux avec les États-Unis, ne sont liés à aucune contrepartie politique. C’est le marqueur d’un régionalisme latino-américain et d’une entrée en force depuis le début du millénaire de la Chine dans les relations commerciales avec l’Amérique latine.”
Système migratoire à rénover
Selon le principal conseiller de Joe Biden pour l’Amérique latine, Juan Gonzalez, le président américain va profiter du Sommet des Amériques pour faire des annonces sur la coopération économique et la lutte contre la pandémie de Covid-19 ainsi que contre le changement climatique.
Le démocrate de 79 ans, qui se rendra mercredi à Los Angeles, espère aussi conclure un accord de coopération régionale sur un sujet politiquement explosif, et qui lui vaut de violentes critiques de l’opposition républicaine: l’immigration, un enjeu majeur de politique intérieure à l’approche des élections de mi-mandat.
Le nombre de personnes cherchant à entrer aux États-Unis après avoir fui la pauvreté et la violence en Amérique centrale et à Haïti est en hausse. L’administration Biden n’a jusqu’ici pas tenu sa promesse de mener une politique d’immigration rénovée, qu’elle veut plus humaine que celle du mandat Trump.
Déclin américain
Washington s’est assuré de la venue de certains dirigeants majeurs, aussi bien le président argentin de centre-gauche Alberto Fernandez que le chef d’Etat d’extrême droite brésilien, Jair Bolsonaro.
Mais l’absence du président mexicain sera perçue comme ” significative “, selon Benjamin Gedan, qui dirige les études sur l’Amérique latine au Woodrow Wilson International Center for Scholars. Le chercheur relève par ailleurs que, là où la Chine investit lourdement dans la région, le président américain n’a jusqu’ici pas annoncé d’effort économique substantiel.
” Il faudra juger le sommet à l’aune des propositions des Etats-Unis en termes d’accès commercial, de prêts et d’assistance pour financer la reprise et les infrastructures dans la région “, déclare encore Benjamin Gedan. ” Et sur ces points, les Etats-Unis décevront, c’est inévitable “, estime-t-il.