Messieurs les membres de l’Assemblée nationale,
En vous remerciant de la confiance que vous avez bien voulu manifester en m’élevant à la première magistrature de l’État, (et en remerciant Monsieur le Président de l’Assemblée nationale des paroles aimables qu’il a prononcées, et des voeux qu’il a émis) je ne perds pas de vue qu’on m’accordant vos votes, c’est la grande famille des masses, dont je suis un représentant, que vous avez bien voulu honorer.
Vous avez choisi, entre ceux qui briguaient vos suffrages, un homme qui ne se recommandait ni par l’éclat d’un grand nom, ni par le prestige d’une illustre naissance. Ce que les masses m’ont valu aujourd’hui, je m’engage à le leur rendre en me dévouant à leur cause.
Tous ici, à cette heure, nous avons à la pensée la Révolution de Janvier qui a mis au grand jour les aspirations du peuple la liberté, au travail protégé, à la paix, et la justice sociale qui assure un ordre nouveau où les privilèges que quelques-uns sont courbés au profit du bien collectif. Mon gouvernement s’efforcera, avec votre collaboration éclairée, et dans la limite des pouvoirs qui lui seront laissés par la Constitution libérale, à laquelle votre Haute Assemblée est en train de travailler, de répondre à ces aspirations.
Toute ma vie, à travers des étapes difficiles, j’ai porté en moi un idéal de respect et de dignité de l’homme du peuple, et à une époque où il n’y avait pas de place pour les partis politiques et les organismes de revendications, je m’étais donné pour tâche d’étendre et de fortifier la position où m’avaient placé les populations de mon arrondissement natal afin d’être en mesure, un jour, d’émerger avec le peuple et pour le peuple.
Je ne dissimule pas les difficultés auxquelles nous pouvons nous heurter. Mais aussi bien que le peuple tout entier n’a cru pouvoir trouver le commencement de son salut que dans l’établissement à bref délai d’un Exécutif régulier, nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour justifier son attente.
Nous allons travailler à la libération financière du Pays, à l’éducation des masses, à l’organisation rationnelle de notre agriculture. Les systèmes progressistes d’organisation, tels que celui des coopératives seront encouragés, afin que le sol enrichisse celui qui le cultive, et non les intermédiaires. Nous protègerons l’artisan et le travailleur salarié. Les syndicats ne seront pas opprimés dans leurs revendications, car il sont la garantie que le travailleur ne sera pas soumis au bon vouloir du patron.
Quand à la jeunesse, et je pense, aussi bien qu’à celle des villes, à tous les adolescents issus directement des masses prolétariennes et paysannes, quant à la jeunesse, cette source d’intelligence et de courage à qui est donnée la mission de revigorer la nation par son ardeur, elle recevra notre attention spéciale, et rien de sa flamme ne sera étouffé sous le gris manteau des servitudes.
C’est sur cette dernière pensée que je voudrais achever ce message, et je désire parler non seulement pour vous, Messieurs les Membres de l’Assemblée, qui détenez un mandat du peuple et êtes les dépositaires de sa souveraineté, mais à tous ceux qui sont ici comme témoins, et par dessus vous tous à la Nation toute entière : ce gouvernement que vous venez de consacrer n’appelera jamais personne à la servitude. Nous savons ce que valent les dictatures et les crimes à quoi elles poussent contre les vies, contre les courages, contre les consciences, contre les patries.
Je prends l’engagement formel de respecter les principes de la séparation des pouvoirs, seule garanties pour le peuple de na pas voir son destin échapper à son propre contrôle. Quant à la presse, ce quatrième pouvoir que le peuple s’est donné pour être un oeil ouvert sur tous les autres, nous ne porterons jamais la mais sur elle, car nous espérons n’avoir jamais aucune honte à cacher.
Au seuil de ce mandat qui est appelé à s’exercer dans des circonstances difficiles, autant parce que l’héritage receuilli est grevé de lourdes hypothèques, qu’à cause des contingences économiques, géographiques et sociales qui ont chacune leur aiguillon, j’adresse au nom du Destin de la Patrie, un appel solennel à toux les haitiens, de tous les départements, de toutes les classes, et particulièrement des masses, pour qu’il nous fassent confiance. J’appelle à l’union sacrée, à la coalition autour du drapeau, notre commun héritage, tous les adversaires d’hier, quels qu’ils soient, quelle qu’ait été la violence de leurs attaques. C’est l’heure où chacun de nous doit démontrer que la patrie est la première et la plus sacrée de ses préoccupations.
Si, bergers du troupeau, nous nous en constituons les loups; si, gardiens de la maison, nous nous faisons les voleurs qui la brisent et la pillent; si rebelles au meilleur de nous-mêmes, nous manquons à nos engagements solennels, alors il sera temps d’entrer en jugement avec nous et de nous demander des comptes.
Mais je sais que nous sommes en route pour une meilleure et plus forte et plus fière Haiti.
C’est notre désir.
C’est notre but.
Que Dieu nous soit en aide.