Rien, aucune situation ne semble capable d’arrêter la furie destructrice des politiciens haïtiens qui se montrent incapables de se retenir et de prendre une pause dans la quête du pouvoir. Nos politiciens souffrent de boulimie, à tout moment il leur faut quelque chose à se mettre sous la dent. Ils doivent être en train de mastiquer, d’avaler et de digérer en permanence. Aucun cyclone destructeur, aucune situation de détresse, aucun malheur de grande amplitude ne doit leur soustraire la cuillère à la bouche. Au contraire…
Les catastrophes naturelles, nous le savons bien, c’est la situation idéale, en Haïti, pour certains de s’enrichir au nom de la souffrance du peuple. Les décrets d’état d’urgence depuis cette dernière décennie ont permis aux uns et aux autres de se refaire une santé, sans que les victimes de catastrophes aient toujours reçu l’aide diligente qu’elles attendaient. Sans que non plus certains problèmes infrastructurels aient été solutionnés. A part des périodes où l’administration publique a mobilisé une partie des ressources disponibles pour équiper l’État valablement et éviter l’indigence et la dépendance de nos voisins; à part ces exceptions où dans la fonction publique siégeaient des personnes soucieuses de la reddition des comptes, documents que les parlementaires, pour les besoins de leur cause, jetteraient à la poubelle pour tenter, de façon malhonnête, de présenter les gestionnaires comme des incompétents à sanctionner et, de fait, qu’ils ont sanctionnés sous de fallacieux prétextes, les périodes de catastrophes sont des occasions de brasser du beurre en abondance. Le concept de la trêve n’existe pas en Haïti.
Les anciennes inimitiés régionales continuent de s’exprimer dans toute leur rage pour éviter qu’un ennemi politique ait à son profit un bilan positif de la gestion d’une situation, image qui ferait mal lors d’une compétition future. Les anciens contentieux se règlent dans toute leur acuité en tout temps, sans aucun répit. Au contraire, l’on profite, du haut d’une position confortable au sein des institutions, pour décerner des brevets d’incompétence. Pendant ce temps, ce sont les mêmes correcteurs et donneurs de notes qui utilisent de leur influence et autorité pour s’approprier l’aide gérée par ceux-là dont ils corrigent les cahiers! Allez comprendre.
La notion de l’éthique prendra du temps avant de pénétrer nos mœurs pour arriver à déterminer les attitudes et comportements. Et aucun reproche les présentant comme des voraces, des rapaces et d’affreux personnages n’a la vertu de provoquer en eux la honte et une certaine gêne. Ils en sont tout simplement incapables au point d’aller raconter la scène en public. DE L’INTERPELLATION DES MEMBRES DU GOUVERNEMENT Les articles 129-2 à 129-6 de notre Constitution cernent la question de l’interpellation des membres du Gouvernement. Le Parlement, pouvoir de contrôle, a la pleine prérogative d’interpeller le Premier ministre et les ministres. Cependant, en cas de situation spéciale d’un gouvernement intérimaire, la Constitution, en son article 149-2, dispose:” Aucune procédure d’interpellation du Gouvernement ne peut être entamée durant les périodes d’empêchement temporaire du Président de la République ou de vacance présidentielle…” La présence de Jocelerme Privert à la tête de l’État, même si elle ne répond pas tout à fait à la lettre de l’article 149 de la Constitution de 1987 amendée, est le résultat d’une interprétation de l’esprit du même article. Nous avons cette situation anormale de l’absence d’un président dûment élu après un mandat présidentiel totalement consommé. La présidence de Privert n’est-elle pas le fait de la non disponibilité d’un président avec un mandat régulier? Ne s’agit-il pas alors d’un cas d’empêchement temporaire du Président qui aurait dû normalement succéder à Michel Martelly?
Les élections convoquées pour le 20 novembre 2016 ne doivent-elles pas mettre fin à la vacance présidentielle? Jocelerme Privert est-il réputé un président ayant un mandat avec un terme constitutionnel de cinq ans? La réponse à cet ensemble d’interrogations, en toute bonne foi, sans faux-fuyant et surtout sans les contorsions habituelles d’interprétation de la Constitution pour les besoins des causes intéressées de cette période transitoire… nous ramènera à la lucidité nécessaire pour avancer avec l’indispensable mais introuvable sérénité… UN PAYS DÉMUNI, L’ÉTAT INDIGENT… L’ouragan Matthew a montré Haïti, une fois de plus, dans son dénuement extrême. Nous devons revisiter notre pays dans tous ses contours, pour prendre les dispositions de le repenser. A l’instar du cyclone Hazel en 1954, la marque et les empreintes de Matthew resteront longtemps sur le corps de notre pays, son environnement qui a reçu un coup de grâce. Cette cicatrice nous rappellera comment nous n’avons pas su bâtir un pays viable avec des maisons fiables capables de résister à la furie du vent. Matthew a été si désastreux parce que nous n’avons tiré aucun enseignement du passage du cyclone Hazel, il y a soixante-deux ans. Nous n’avons pas revu l’habitat haïtien des zones exposées au cyclone pour rendre nos maisons conformes à la réalité cyclonique. Et si, par ailleurs, un autre tremblement de terre survenait malheureusement en ces temps présents, il viendrait nous montrer comment, à la mode de chez nous, nous n’avons pas tiré les leçons du 12 janvier 2010. Les images des “maisons” détruites par Matthew et qui ont circulé dans le monde entier ont dû soulever la compassion internationale et bien des interrogations sur le concept même du logement, en Haïti, qui, comme ailleurs, est destiné à héberger des êtres humains. L’ajoupa indien dont on a vu la reproduction dans nos livres d’histoire nous paraissait de loin plus confortable que certaines “maisons” mises à nu par l’ouragan.
Haïti, notre pays, a besoin de leadership. Mais malheureusement, il y a dans le spectre qui s’offre à nous un tel déficit de femmes et d’hommes capables de nous convaincre qu’ils ou elles ont la graine de leader, quand nous voyons que la plupart sont incapables de privilégier les moments où c’est la nation qui doit prévaloir avant les conflits et les règlements de comptes. Le paradoxe c’est que nous sommes à la veille de faire un choix et nous n’avons même pas la certitude du joueur de “borlette” qui, lui, au moins, est motivé par le rêve de la veille qui le porte à miser sur un numéro. Aurons-nous plus de chance que le joueur de borlette qui, soit dit en passant, ne gagne que rarement? Et voilà, Haïti, une nouvelle fois, conformément à un certain destin, livrée au sort…
Hérold Jean-François