Comme l’a dit Renata Segura, de l’International Crisis Group : “Il semble peu probable qu’Haïti devienne un endroit plus sûr s’il ne s’attaque pas d’abord à la crise politique.” Alors que plusieurs nouveaux groupes et initiatives ont fait surface au cours des neuf derniers mois, deux propositions clés pour une réinitialisation politique se distinguent des autres : L’une émanant du Premier ministre par intérim, Ariel Henry, pour diriger le pays jusqu’à ce qu’une élection puisse être organisée plus tard dans l’année ou au début de 2023, et l’autre émanant de l’Accord de Montana, une coalition d’organisations de la société civile et de partis politiques, qui propose une transition de deux ans donnant au pays le temps d’organiser une élection.
Les réunions entre les deux parties en février n’ont pas porté leurs fruits, et la proposition de M. Henry de créer une “commission de médiation” en mars a été rejetée par les membres de l’Accord de Montana. Le processus se trouve actuellement dans une impasse cordiale, bien qu’il y ait des signes récents d’une évolution possible.
On peut soutenir que ni ces options ni les groupes qui les soutiennent n’offrent une représentation suffisamment large de la société haïtienne, mais toutes deux apportent quelque chose d’essentiel à la table des négociations. La proposition de M. Henry préserve ce qui reste de la structure gouvernementale du pays et l’accord de Montana offre une portée plus large à la société. À cet égard, le défi d’Haïti n’est pas inhabituel pour les pays en conflit ou sortant d’un conflit : comment mener le dialogue sociétal le plus large possible à un moment où la gouvernance nationale s’est effondrée. Mais Haïti n’a jamais connu de véritable dialogue national, passant directement de la dictature aux élections dans les années 1990, et peu des élections qui ont suivi ont été réellement représentatives ou productives.
Une étude récente de l’USIP a montré que si les dialogues nationaux ne sont pas une panacée, un dialogue bien conçu et soutenu peut “faire partie d’un continuum plus large d’efforts locaux, sous-nationaux et nationaux qui se renforcent mutuellement” et “permettre de forger des accords et de progresser vers la paix”. Mais l’étude a également révélé que “les dialogues sont beaucoup plus susceptibles d’engendrer des changements significatifs lorsqu’ils sont soutenus par une coalition crédible qui peut œuvrer à la mise en œuvre du dialogue par le biais d’une loi ou d’une politique”. Le soutien combiné de M. Henry et de l’accord de Montana est-il suffisant pour générer un accord qui conduise à un large soutien en faveur d’un dialogue national concluant ?
Une réponse affirmative pourrait donner à des groupes haïtiens déjà bien positionnés l’occasion de réunir plusieurs milliers de délégués pour plusieurs semaines de réunions et de prises de décision. Il serait également utile qu’un groupe d’éminents chefs d’État puisse donner du poids à la réunion par sa présence et son soutien, en représentant des organisations et des pays désireux non seulement de participer à la réunion, mais aussi d’en voir les résultats mis en œuvre.
Le soutien des principaux acteurs haïtiens à un processus de dialogue national permettrait également à la communauté internationale, travaillant avec respect et patience avec tous les éléments de la société et de la politique haïtiennes, de fournir le soutien logistique et sécuritaire, le financement d’un secrétariat dirigé par des Haïtiens, ainsi que les conseils et le dépannage en coulisses nécessaires à une résolution fructueuse de la crise politique.
La transparence serait nécessaire pour se prémunir contre les accusations de tractations en coulisses et d’ingérence internationale. Le rassemblement nécessitera également de la patience, avec pas moins de trois semaines nécessaires pour régler les problèmes et la procédure, ainsi qu’un accord institutionnel pour les rassemblements ultérieurs et le suivi.
Le produit le plus durable d’un tel événement serait un gouvernement intérimaire, habilité à gouverner tout en préparant le pays à des élections et à la possibilité de changements constitutionnels proposés. Bien que les propositions de structure de gouvernance intérimaire émanant de l’accord de Montana et de l’électorat politique de M. Henry ne s’alignent pas, elles existent au moins. Et, avec un peu d’imagination et de courage, elles peuvent déboucher sur un accord viable.