Il y a 86 ans le 2 juin 1935, le président démocratiquement élu le 18 novembre 1930 Sténio Vincent par une mascarade référendaire remplaçait la très démocratique Constitution de 1932 librement discutée et votée par le Parlement haïtien qu’il détestait, par une autre constitution autoritaire écrite pour lui par son ami le dictateur polonais Joseph Pilsudski afin d’établir une dictature en Haïti qui durera 11 ans (1935-1946).
A la chute de celle-ci en 1946, les Constituants de 1946 pour éviter la répétition d’un tel malheur votèrent dans la nouvelle Constitution l’interdiction de changement de Constitution par referendum, il y a 75 ans. Cette interdiction fut reprise par les Constitutions de 1950, 1957 et 1987 qui reproduit l’article de 1946 sous le numéro 284-3 qui dispose: “Toute Consultation Populaire tendant à modifier la Constitution par voie de Referendum est formellement interdite.”
Selon l’article 282 de la Constitution de 1987 actuellement en vigueur, seul le Pouvoir Législatif a le pouvoir de modifier la Constitution après des débats appropriés.
Le Président de la République fait semblant d’ignorer l’histoire et il avance l’argument que son referendum est légal parce qu’il ne vise pas à modifier l’ actuelle Constitution de 1987 mais à mettre en vigueur (illégalement) une Constitution entièrement nouvelle.
Bien sûr cet argument ne tient pas debout résiste pas à l’analyse pour les raisons suivantes:
3 arguments contraires évidents:
1.- Si l’article 284-3 interdit de changer par voie référendaire la plus petite partie de la Constitution, comment autoriserait-il d’en changer la totalité?
2.- Si la thèse du Président et de ses conseillers incompétents était valable, à chaque fois qu’on voudrait changer quelque chose à sa guise dans la Constitution on n’aurait qu’à simplement venir avec une nouvelle constitution par un referendum bidon comme ceux de Vincent et de Duvalier ou comme celui qu’il nous prépare
3,- L’origine de l’interdiction du referendum constituant par l’article 284-3 remonte à 1946 et cette interdiction été établie comme nous le disions plus haut parce que le président Sténio Vincent avait remplacé en 1935 au moyen d’un referendum bidon l’INTEGRALITE de la Constitution démocratique de 1932 élaborée librement par le Parlement haïtien dont il ne voulait pas, par une nouvelle constitution dictatoriale écrite pour lui par Joseph Pilsudski. L’interdiction posée par la Constitution de 1946 et reprise par celles de 1950, 1957 et 1987 vise à interdire ce genre de coup de force contre la Constitution en vigueur. Le président feint d’ignorer l’histoire parce que ça l’arrange.
4.- Le président devrait aussi savoir qu’il existe en droit un principe fondamental qui veut qu’on ne puisse pas interpréter un texte juridique en vue de l’annuler, de le vider de sa substance, de lui conférer un caractère absurde, ou bien de lui faire avoir des effets contraires ou pervers. C’est le principe “Actus interpretandus est potius ut valeat quam ut pereat”.
Henri Roland écrit à ce propos dans son “Lexique juridique – Expressions latines”; “Un acte doit être interprété dans le sens où il produit effet plutôt que dans le sens où il en serait dépourvu.
Directive d’interprétation régissant l’hypothèse où une clause peut être comprise de deux manières radicalement opposées, l’une privant l’acte de son effet, l’autre lui conférant la pleine efficacité: le juge est invité à choisir l’utilité, parce qu’il est raisonnable de penser que les parties ont recherché l’être et non le néant”.
5.- Le titre XIII de l’actuelle Constitution dans son entièreté n’aurait pas sa raison d’être.
6.- Le referendum anticonstitutionnel annoncé repose sur un décret présidentiel lui-même anticonstitutionnel quant à son existence et à son objet en date du 31 décembre 2020. Si les prémisses d’un raisonnement sont fausses le raisonnement est également faux. En langage informatique on dit “garbage in, garbage out”. En Droit public, c’est pareil. Ainsi, l’avant-projet d manifestée constitution du CCI de même est réputé non écrit comme le décret sus-mentionné en raison de son essence, de son objet et de sa finalité anticonstitutionnels.
L’interdiction de 1946 née après le referendum truqué de Vincent de 1935 contre la Constitution de 1932. a 75 ans d’âge. Elle ne date pas d’hier. Une pareille interdiction existe aussi dans la très démocratique Allemagne après Hitler depuis 1949. C’est un moindre mal. Malheureusement chez nous, ce n’est pas le peuple qui vote oui ou non mais ce sont les gouvernements en place qui votent massivement OUI à ces consultations. On se souvient bien des referendums de 1964, 1971 et 1985. Telle est notre triste réalité.
L’article 284-3 de la Constitution de 1987 n’est pas un article anti-Jovenel mais il est un article anti-coquins, présents et futurs et un article anti-dictature.. Il nous a protégés efficacement depuis 34 ans contre le retour de la dictature dans notre pays. Le peuple haïtien a ouvertement pris position pour le respect scrupuleux de cet article 284-3 et pour le maintien de la Constitution en vigueur comme seule légitime. De plus, il a clairement manifesté son opposition au principe même de ce referendum anticonstitutionnel et sa détermination à ne pas participer à une telle chose, ni pour y voter oui ni pour y voter non.
Les chefs d’Etat africains changent régulièrement par referendum la constitution de leurs pays pour se maintenir indéfiniment au pouvoir: Ouganda, Tchad, Rwanda, Congo Brazzaville, Guinée Conakry… Nos cousins des pays africains auraient intérêt à inclure dans leur constitution respective cette même disposition indispensable qui nous protège tous contre l’ambition, la malice, l’arbitraire et l’aventurisme de nos dirigeants successifs. Elle est un mal nécessaire.
Le Président de la République a plutôt choisi d’appliquer un principe fondamental de toute dictature: “C’est légal parce que je le veux”.
Le Chef de l’Etat prend tous les Haïtiens pour des imbéciles. Lui et ses conseillers sont les seuls “nèg save” dans le pays. Il vit dans son propre univers. Il a perdu tout sens des réalités. Il pourrait faire rire de lui n’était-ce le caractère gravissime de notre situation politique actuelle, quand il affirme qu’il va faire ce referendum parce que c’est le peuple qui le demande.
Le referendum annoncé est un acte arbitraire, anticonstitutionnel et sans bases juridiques. C’est une violation grossière de la Constitution par ceux-là mêmes qui ont la responsabilité de l’observer et de la faire observer.
Il n’aura pour effet que de rétablir la dictature en Haïti, d’enfoncer encore plus le pays dans la crise, de fermer définitivement la porte à un indispensable accord politique et de repousser davantage la perspective de la tenue d’élections libres et crédibles, le préalable indispensable pour sortir de cette profonde crise qui affecte le pays. La politique de l’unilatéral et du fait accompli est sans lendemain.
Dr Georges Michel
Ancien Constituant de 1987