Né au Cap-Français, devenu Cap-Haïtien en 1743, mort en déportation au fort de Joux, près de Pontarlier, en 1803, quelques mois avant la proclamation de l’indépendance d’Haïti, le 1er janvier 1804, sous l’impulsion de son ancien lieutenant Dessalines, Toussaint Louverture a vu pendant longtemps son action « républicaine » discutée dans l’historiographie haïtienne. Aimé Césaire a proposé sa réhabilitation :
Toussaint mort, la France crut Saint-Domingue décapitée, à sa merci, livrée.
Mais c’est alors qu’on s’aperçut des vraies dimensions de l’homme; de l’importance de son œuvre, et qu’elle dépassait infiniment son auteur.
Au moment où on croyait la voie dégagée, cette œuvre, on la rencontra partout, partout on buta sur elle, et c’est contre elle que vint en définitive se briser l’entreprise de Bonaparte.
Plus que le Môle Saint-Nicolas, plus que la Crête-à-Pierrot, plus que les fortifications dont était hérissée la vieille île des flibustiers, ce qui à Saint-Domingue résista à la puissance française, au feu de ses canons et à la charge de ses soldats, ce fut l’esprit de Toussaint Louverture, l’esprit forgé par Toussaint Louverture.
Il est de mode aujourd’hui chez les Haïtiens de diminuer Toussaint, pour grandir Dessalines.
Il ne saurait être question de nier les mérites de Dessalines ni les lacunes de Toussaint.
Mais on peut clore le débat d’un mot : au commencement est Toussaint Louverture et, sans Toussaint, il n’y aurait point eu de Dessalines, cette continuation.
Bien sûr la situation historique de Toussaint est malaisée, comme celle de tous les hommes de transition.
Mais elle est grande, irremplaçable : cet homme comme nul autre constitue une articulation historique.
En tout cas, il y a un bon moyen d’apprécier son rôle, et sa valeur. C’est de lui appliquer le critère cher à Péguy : de mesurer de quel étiage il a fait monter le niveau de son pays, le niveau de conscience de son peuple.
On lui avait légué des bandes. Il en avait fait une armée. On lui avait laissé une jacquerie. Il en avait fait une révolution; une population, il en avait fait un peuple. Une colonie, il en avait fait un État; mieux, une nation.
Qu’on le veuille ou non : tout dans ce pays converge vers Toussaint, et de nouveau irradie de lui.
C’est bien un centre que Toussaint Louverture.
Le centre de l’histoire haïtienne, le centre sans doute de l’histoire antillaise…