Le projet d’édification du Musée Césette et Alexandre Dumas de Jérémie nous amène à concevoir la possibilité de préserver les acquis patrimoniaux de cette ville qui nous est chère et envers laquelle nous avons une dette de mémoire.
En moins de vingt-ans, deux terribles incendies ont ravagé des bâtisses de grande valeur historique dans cette magnifique ville dont le nom se rattache à l’âge d’or de la littérature haïtienne, non seulement par le nombre de poètes et écrivains qui y sont nés, mais surtout par la qualité de leurs œuvres. Aujourd’hui encore, elle ne démérite pas du qualificatif de «Cité des poètes» dont elle s’est longtemps enorgueillie, pour être l’hôtesse du désormais très populaire Festival national de la poésie, et pour s’être montrée, aujourd’hui encore, un terreau propice à la création littéraire et artistique.
Cette ville au passé si glorieux, et qui se trouve exposée à tous les sinistres, court le risque de voir s’envoler en fumée ses meilleurs patrimoines bâtis, si des mesures de protection, de conservation et de valorisation ne sont prises pour les sauver de la destruction très souvent due à l’ignorance des uns et au prosaïsme des autres.
Il s’avère donc impérieux de prendre toutes les dispositions nécessaires pour inventorier ce qui lui reste de souvenirs physiques, de mémoires spirituelles et socioculturelles, afin d’en faire une ville-musée, à la hauteur de ceux et celles qui l’édifièrent sur la base de réelles valeurs humaines.
Il s’agit en tout premier lieu de concevoir un plan de ville-musée, en conjuguant architecture, culture et communauté, vers une muséologie patrimoniale et citoyenne, dans le genre de Puebla au Mexique et de St. Petersburg, sur la baie de Tampa en Floride. Tenant compte de sa riche histoire, de son potentiel humain à travers le temps et de son poids dans l’imaginaire collectif haïtien, Jérémie réunit toutes les conditions pour être un dépôt culturel national, à l’instar de Cap-Haitien et Jacmel qui sont considérées comme tels. Plus encore, elle possède les caractéristiques d’une ville-musée, par la diversité de ses points forts en matière de muséologie sociale.
En tenant compte des principes de la conservation intégrée, du patrimoine comme notion identitaire et de quelques voies d’analyse réflexive d’une muséologie citoyenne, il ressort quelques points forts qui font de Jérémie une ville-musée.
NOTIONS IDENTITAIRES
Patrimoines physiques et humains :
Ses grottes précolombiennes;
Sa cathédrale dédiée au roi Louis IX, construite en 1901, contenant un autel en marbre blanc, arrivé à son port par bateau pour une destination étrangère, mais retenu pour l’église locale sous pression populaire;
Sa Loge, La Réunion des Cœurs No. 3, Orient de Jérémie, la plus vieille d’Haiti, pour être la Mère-Loge des principaux héros de l’Indépendance nationale;
Ses maisons aux structures préfabriquées venues d’Europe;
Ses débris de bateaux remontant aux guerres civiles du XIXe siècle;
Ses anciens sites de sucreries et de batteries;
Ses fortifications;
Ses anciennes brasseries ou guildives;
Traces des premiers immigrants venus de l’Asie occidentale et du Proche-Orient (les Levantins);
10-Les charniers de 1964 sous la dictature duvaliériste.
Les pratiques artistiques et culturelles:
Les diverses danses coloniales encore vivantes dans les cérémonies- vodou: la polka, le menuet, la contredanse, la bourette,etc.
2-Les rituels du Vendredi-Saint: le boule-jwif; le Rara; les tintamarres dans les poto-elektrik;
3-Les mascottes, déguisements et défilés carnavalesques: Madan-Brino; l’ours Nicolas; le madigra-pay; bann-Franck; les Cavaliers; les bann-baka (Démoli et autres);
4- Les festivités paysannes du 6 janvier dites Lèwa;
5- Les bombances de la Saint-Louis et autres fêtes champêtres.
Les pratiques culinaires :
La tradition du chou-palmis à l’occasion du Vendredi-Saint;
Le partage du bœuf dans le traditionnel Babako du mois de Décembre;
La consommation du tonm-tonm aux crabes et kalalou-gonbo;
La bonne recette du konparèt ( Fifine, Rosemela, Madan-Presi et autres)
La bonne recette du pain-maïs ( Tiyenn);
Les cuvées et celliers :
Les réserves d’anis dans les guildives pour la Noël;
Les rhumeries Vilaire et Cadet;
Le vin d’orange;
REPÈRES DE LA MÉMOIRE COLLECTIVE
Identification par une plaque murale de quelques résidences de patrimoines humains:
Etzer Vilare, Edmond Laforest, Émile Roumer, Jean Brierre, Regnor Bernard, Étienne Charlier, Camille Large, Alain Clérié, Georges Clérié, Prosper Auguste, Antime Samedi, Louis Laurent, Nono Lavaud, Pierre-André Charles, Amiclé Beaugé, Jacqueline Beaugé, Madame Carl Cavé, Grann-Danm, Georges Lescouflair, Me. Louis Charles, etc.
Prise en charge esthétique de la Place des trois Dumas:
Son réaménagement paysager;
La réfection de ses pavés;
L’érection d’un mausolée à la mémoire de Marie Louise Césette Dumas, l’esclave noire de la colonie de Saint-Domingue, qui donna naissance au Général Dumas;
L’installation sur socle d’une statue chevaline du Général;
Son éclairage adéquat par des lampadaires bien entretenus;
La libération de son environnement de tout ce qui s’y installe de façon anarchique: motards, marchands et marchandes;
Le rafraichissement de la petite Amélie et bien d’autres réfections nécessaires à son agrément.
Autres actions d’ordre patrimonial à entreprendre:
Conversion en un lieu de pèlerinage historique, l’Habitation Madhère à la Guinaudée, lieu de naissance du Général Dumas, actuellement propriété de la succession Chavenet.
Enrichissement de la bibliothèque Alexandre Dumas de Latibolière par des œuvres d’écrivains locaux, anciens et actuels, en particulier celles de la dynastie des Dumas;
Préservation au Musée Alexandre Dumas des documents d’époque fournis par le Musée de Villers-Cotterêts, en vertu de l’Article 2 des statuts du MADGA: portraits, manuscrits, autographes, actes d’écrous, correspondances militaires, y compris des pièces historiques relatives à certaines familles jérémiennes d’antan;
Érection d’un Mausolée à No.2 à la mémoire des victimes de 1964;
Élévation d’un Monument à la mémoire des Martyrs de Jeune Haiti;
Repositionnement de la statue de Goman sur une place spéciale prévue à cet effet, en y incluant ses lieutenants Malfaix et Malfou;
Construction d’un Mémorial pour les victimes de l’air et de la mer;
Le pont sur la Voldrogue: à nommer ;
Le pont sur la rivière des Roseaux: à nommer;
Le pont de la Petite-Guinaudée: à nommer;
Le pont sur la rivière Glace: à nommer.
Immortalisation des grandes bâtisses et figures institutionnelles:
Le Lycée Nord Alexis à doter d’une salle des pas perdus: anciens directeurs et professeurs;
Au Collège Saint-Louis: salle des bienfaiteurs, anciens directeurs et professeurs;
À l’ancien site du Collège Alain Clérié: une plaque en hommage à ses fondateurs ;
Au Parc Saint-Louis: une galerie de photos des anciens dirigeants de la ligue jérémienne de football, ainsi que celles des clubs.
Au Tribunal Civil de Jérémie: Aréopage des célèbres juges et avocats de la ville.
Mérès Weche