Haïti est depuis près d’un siècle connu comme le pays le plus pauvre du continent américain. Ayant accédé à l’indépendance dans des conditions difficiles au début du dix-neuvième siècle , la population Haïtienne a vécu jusqu’à la fin des années 60 dans et d’ une économie à prédominance agricole basée sur la petite exploitation paysanne de faible productivité. L ’économie urbaine est restée rachitique et liée au commerce international, faible en volume, en valeur et en part relative du produit intérieur brut. L ’essai de modernisation amorcé au début des années 70 n ’a pas donné les résultats espérés, l’industrialisation étant restée relativement faible, ralentie en partie par une agriculture qui s’est montrée incapable de satisfaire la demande urbaine. La migration interne a contribué, d’autre part, dans ce contexte à alimenter un secteur informel urbain pléthorique et très peu capitalisé. La croissance de type extensif qu’a connu le pays n ’a pas permis une augmentation significative des revenus moyens et le taux de pauvreté est demeuré très élevé. La permanence de cette situation réclame que les analystes y prêtent une attention soutenue.
Selon Amartya Sen, « il est juste de considérer la pauvreté comme une privation de capacités de base plutôt que simplement comme un revenu faible 1 », les capacités étant définies « en termes de libertés substantielles qui permettent à un individu de mener le genre de vie qu’il a raison de souhaiter ». Pour autant, Sen n ’entend pas nier l’évidence, dans la mesure où il dit qu’ « un revenu faible constitue bien une des causes essentielles de la pauvreté pour la raison, au moins, que l’absence de ressources est la principale source de privation des capacités d’un individu. Defait, aucune condition ne prédispose autant à une vie de pauvreté qu’un revenu inadéquat 2 ». Le présent travail privilégie la notion de pauvreté déterminée par un revenu inadéquat pour couvrir des besoins de base socialement définis. Dans un pays classé PMA comme Haïti, bien qu’il soit vrai que d’autres facteurs, hormis le revenu, influencent la privation de capacités, il est justifié de retenir la pauvreté monétaire comme critère central, dans la mesure où les besoins de base fournis par les mécanismes de marché (nourriture, eau, logement, habillement, transport) accaparent plus de 93 % du revenu des ménages dont l’écrasante majorité vit en situation de pauvreté ou de vulnérabilité.
Pour la partager, il faut savoir la conquérir, la démultiplier préalablement. Partager, c’est d’abord partager les contraintes et les attentes mutuelles. Les Haïtiens ont besoin de dynamiser l’entrepreneuriat social (fortement féminisé et incorporant cette masse de jeunes diplômés désespérément en quête du premier emploi) par le formatage et le financement innovant du secteur informel au moyen du microcrédit. Nos partenaires sont en retard par rapport à l’expertise asiatique. Ils n’ont pas eux-mêmes jusque-là pu s’approprier les instruments, les mécanismes et les ressorts de ce modèle parfaitement maîtrisé par les dirigeants de la Grameen Bank par exemple avec à leur tête le Prix Nobel de la Paix en 2006, Muhammed Yunus. Il n’est que de le lire pour voir comment il a su initier et nouer un partenariat avec le fabricant français Danone. Cette culture entrepreneuriale asiatique n’est point une évidence pour les structures pyramidales de concentration de capitaux pour la prise de contrôle monopolistique d’un secteur déterminé. Oui ou non, les investisseurs français sont-ils à même de reproduire la joint-venture que le fabricant chinois de chaussures et le gouvernement éthiopien ont réalisé en début 2012 dans les faubourgs d’Addis-Abeba. Rappelons que la société Huajian qui a adhéré au concept du gouvernement éthiopien de promotion d’industries à haute intensité de main-d’œuvre, ouvre en 2012 une usine avec 600 employés. Avant la fin de 2012, 2000 emplois furent crées et permettent le doublement des capacités d’exportation de chaussures Huajian à partir d’Ethiopie.
En fin janvier 2015, Huajian était déjà employeur de 3500 éthiopiens et produisait 2 millions de chaussures par an. Cette expérience boosta la création de richesses en Ethiopie par l’augmentation du revenu national. La société Huajian quant à elle, consolida ses parts de marché en Corée, Taïwan, Chine et Turquie à partir de son unité de production éthiopienne. Peut-on penser une seule seconde que le gouvernement éthiopien refuse de multiplier par 22, donc 22 unités supplémentaires de production manufacturière ? A l’évidence, non. Cette belle expérience est rapportée par le Doyen honoraire de l’Ecole Nationale de Développement, University of Bejing, le Professeur Justin Yifu Lin dans une récente tribune internationale. La conclusion à l’endroit des investisseurs de cette success story Chino-éthiopienne reste que les opportunités existent pour chacune des parties. Le partage de la même langue française est un acquis pour la compréhension réciproque, un atout inversement au problème de langue entre Chinois et Ethiopiens. Par contre, y a-t-il une stratégie partagée de croissance ? Y-a-t-il un modèle entrepreneurial innovant parce qu’adapté au complexe de rationalité africain francophone ?
Quant aux Haitiens, ont-ils la discipline stratégique indispensable à tester et s’y tenir dans toute sa rigueur froide ? Une discipline stratégique que nous aurions, de façon endogène, définie pour nous y en tenir, vaille que vaille sur le moyen et long terme. S’il s’agit de perpétuer l’économie de traite avec des comptoirs ça et là pour ramasser nos ressources naturelles et minières et les exporter brutes, cette histoire cruelle est connue. Elle est contreproductive pour nous, tandis qu’elle n’engraisse que nos voisins de 1915 qui sait, parfois, pratiquer l’évasion fiscale. Pas de gain pour aucune des parties. Mais notre génération d’Haïtiens, bien formés, patriotes et décomplexés, a les moyens de mettre fin à un processus dit de partage de croissance fondé, subrepticement, sur notre renoncement à la transformation économique fabuleuse comme l’Angleterre le connut à partir de 1780 pour ainsi impulser la révolution industrielle. Les alternatives existent et elles sont d’Asie jusque-là. Au demeurant l’unique atout de ne nous avoir pas encore déçu parce que non-essayé, suffit à accréditer l’envie de prendre l’essai- risque asiatique.
Quelles sont-elles ? Puisque la dynamique de croissance partagée l’est en ajoutant de la valeur ajoutée à nos ressources minières et naturelles, par l’implantation d’unités manufacturières à forte intensité de main-d’œuvre (cas Chino-éthiopien ci-dessus).
Y a t-il une autre dynamique innovante inspirée de l’économie du savoir au service de la création et de l’accroissement du revenu national fondé non plus sur les ressources de quelque nature que ce soit (minière ou naturelle). Oui, une autre dynamique peut être impulsée à partir du continent. Elle est définie par le président du forum économique mondial, Klaus Schwab comme étant le talentisme. Pour résumer son idée, je dirai que le talentisme est une combinatoire pragmatique de l’imaginaire humain comme force tellurique et des capacités d’innovation tous azimuts comme le probable moteur de la croissance économique de demain. Le mobile banking inventé au Kenya et mis à la disposition de tous en est l’une des meilleures illustrations venant d’Afrique. La seule condition ici,
c’est la formation poussée en technologies
, la formation professionnelle en administration des affaires, et la communication. Pour ceux qui sont aptes à la pure recherche, les laboratoires les attendent dans les Universités. La délocalisation des usines de chaussures Huajian de Chine vers l’Ethiopie montre que le Chine a réussi ce virage aussi de fonder la création de la richesse sur l’économie du savoir. Ce virage contrairement à la demande à haute intensité en main d ‘œuvre exige la matière grise. Pour le reste, le bon gouvernement, celui de la loi, suffit pour réguler les actions humaines. Les Etats africains francophones se doivent d’anticiper ce virage avec sérieux et responsabilité en raison même du fait que les ressources minières et naturelles, l’exploitation des énergies fossiles finissent. Un jour ou l’autre. Or la dynamique économique d’essence capitaliste a comme contrainte inhérente, l’innovation permanente, le recyclage perpétuel des profils de carrière. Ce qui en soi génère une dynamique sociale pour mieux accueillir les mutations sociétales induites.
La croissance fondée sur l’économie du savoir est a priori plus inclusive en outre, une croissance économique fondée sur l’innovation et l’imaginaire humain est a priori plus inclusive que celle fondée sur l’exportation et le déstockage massif des énergies fossiles. Peut-on en outre faire l’impasse sur le désastre environnemental coextensif à ce modèle de développement ? C’est peut-être l’une des raisons qui ont milité en faveur de ce virage pour l’économie du savoir que les autorités chinoises semblent accélérer. Mais en attendant que nos partenaires français s’approprient cette nécessité partagée comme destin partagé d’aller directement à l’économie du savoir, ils peuvent déjà nous aider à créer la richesse par la délocalisation en Afrique des unités de production manufacturière pour capter la main d’œuvre abondante. Quant aux autorités Haïtiennes, elles gagneraient à encourager l’entrepreneuriat féminin et celui des jeunes par la dynamisation du microcrédit, la création de coopératives, d’agriculture bio, de crédit solidaire, de mutuelles, des tontines soutenues par les mairies, la promotion de l’énergie solaire, toutes choses accessible pour tous pour contenir les diktats de la mondialisation néolibérale. Que nos partenaires français nous accompagnent sur ces chemins d’avenir. Et alors, seulement alors, il sied d’y consacrer une fondation. Ce faisant, les pouvoirs Haïtiens impulsent une dynamique endogène de création de la richesse et par là-même plus inclusive, plus humaine comme le social-business cher au professeur Muhammad Yunus ? Seuls ces choix simples feront prospérer le destin partagé, le mieux-être pour tous, socle de la croissance pour tous ou croissance partagée. Voilà ma modeste compréhension de la croissance partagée.
A cette condition ce concept subsume quelque chose. Sinon, il n’y a que le constat d’une vacuité, une de plus à faire. L’attente de la croissance partagée comme celle du cavalier de son cheval est vaine donc ruineuse. Changeons de concept et donc de cap.