Après une première série de publications à forte teneur historique mettant en exergue les réalisations des acteurs du grand Sud dans la bataille pour la conquête de l’indépendance, Alin Louis Hall fait montre de son aptitude à explorer un autre champ thématique dans son dernier texte » intitulé « La convocation des états généraux pour la reconstruction de la péninsule du Sud.» Dans cet article en trois parties publié dans les colonnes du Nouvelliste récemment, l’auteur, qui se présente comme un professionnel de la finance, pose les bases d’une zone économique méridionale proposant un cadre référentiel idéal à la reconstruction du grand Sud, terrassé par le séisme du 14 août 2021. Dans une interview accordée au Nouvelliste, M. Hall explique les raisons de son intérêt pour une telle initiative.
I
Alin Louis Hall, votre passion pour la contribution du Gand Sud dans le processus de création d’Haïti n’est plus à démontrer. Cependant, après quelques années de silence, il a fallu le séisme du 14 aout dernier pour reprendre le plaidoyer. Pourquoi préconisez-vous la convocation des états généraux pour la reconstruction de la péninsule du Sud?
Après le passage du cyclone Mathieu, j’ai publié Le Droit à l’Avenir : l’initiative Xaragua 2030 en cinq parties dans les colonnes du Nouvelliste. Dans cet article, je posais les jalons d’un pôle économique méridional pour lequel je fais un plaidoyer depuis 2012. Le séisme du 14 aout 2021 doit être l’élément déclencheur d’un projet pilote de territoire. La création d’une zone économique méridionale offre un cadre référentiel idéal à la reconstruction de la péninsule du sud. Aussi, proposons-nous un arrangement territorial regroupant les départements du Sud -Est, du Sud, de la Grande – Anse, des Nippes et de la région des Palmes.
II
A qui s’adresse directement un tel appel qui risque de tomber dans l’oreille des sourds ?
L’air est lourd. L’impasse politicienne, permanente. Mais, il y a surtout la panne d’inspiration. Alors, comment sortir de la croissance zéro ? Où travailler ? Où habiter ? Autant de questions auxquelles nous devons trouver les réponses. Aussi, préconisons-nous une large concertation afin de dégager avec clarté les perspectives qui s’offrent pour un avenir partagé. Il revient alors aux péninsulaires de s’approprier ce message et de le porter avec conviction et détermination.
III
À travers vos publications, on a découvert un historien en vous. Comment pouvez-vous alors manier des concepts assez pointus avec votre proposition d’une nouvelle pensée économique ? Comment, comme vous le dites souvent, se débarrasser de ce modèle qui génère la misère du plus grand nombre ?
Les moments forts de la manne bolivarienne ont créé les conditions pour mettre en orbite ma collaboration avec Le Nouvelliste. Il fallait sortir de l’oubli la contribution de la ville des Cayes qui fit bon accueil à Simon Bolivar fin décembre 1815. Il fallait que j’assume le rôle de gardien de la mémoire. Le général Ignace D. Marion, signataire de l’Acte de l’Indépendance, qui reçoit Bolivar et ses compagnons est mon aïeul maternel. En avril 2012, mon devoir de mémoire se matérialisa dans la distribution gratuite de cinq cents exemplaires de mon premier fascicule qui retrace les pas de Simon Bolivar dans la ville des Cayes. En 2014, j’ai publié mon premier essai historique sur la contribution de la péninsule du sud au processus de formation historique d’Haïti. En 2021, j’ai également contribué à un ouvrage collectif avec une brochette d’écrivains.
A la vérité, la génétique m’a rattrapé puisque mes deux grands-pères sortaient les journaux L’Estafette (1902) et Le Ralliement (1936) et le cousin de mon père publiait la revue littéraire Le Cor (1930) dans la ville des Cayes. Mais, ma mère maitrisait l’art d’écrire. Je l’ai toujours vu avec un livre. Néanmoins, mon plaidoyer pour la péninsule du sud n’a rien à voir avec mon expérience sur le plan professionnel et encore moins mon parcours académique. Je détiens une licence et une maitrise en sciences en finances. Je suis également un planificateur financier agréé CFP®. Depuis plus d’une vingtaine d’années, je travaille dans le système financier et bancaire américain. Là encore, la génétique me rattrape puisque mon père a eu une carrière exemplaire de 38 ans à la Banque Nationale de la République d’Haïti.
In fine, il importe de marteler que le rôle de la finance directe est resté trop longtemps ignoré dans le modèle économique haïtien. Il existe une corrélation positive et directe entre le développement des intermédiaires financiers, des marchés de capitaux et la croissance économique. Le développement financier affecte la croissance économique via l’amélioration de la productivité et l’efficacité du capital. Aussi, avons-nous proposé en 2012 la démocratisation de l’accès à la formation du capital. En collaboration avec la Bourse jamaïcaine (Jamaica Stock Exchange), nous avons eu plusieurs séances de travail avec l’autorité bancaire et le régulateur haïtien sur la création d’une bourse et l’incubation d’une autorité des marchés financiers. En 2018-2019, nous avons également introduit le dossier de la titrisation des flux financiers. La finance a certainement son mot à dire pour passer à un autre paradigme économique. On y reviendra.
IV
Pourquoi la reconstruction de la péninsule du sud doit prioriser l’économique ?
En 2012, nous avons travaillé sur le plan d’expansion de l’Aéroport des Cayes comme catalyseur macroéconomique régional. Notre consultant en aviation a proposé au ministère du tourisme soixante millions de dollars américains pour transformer l’aéroport Antoine Simon en une plaque tournante passager et cargo. Le tremblement de terre du 14 aout 2021 est le malheureux incident qui nous permet de revenir sur ces idées que nous avons agité en 2014 avec la publication de la série Urgences Haïtiennes. Déjà, nous préconisions la création d’une zone économique spéciale chapeautée par une autorité de développement pour tester de nouveaux outils et concepts d’ingénierie financière et territoriale.
À l’heure où la mise en œuvre de l’action publique et la société s’accommodent apathiquement de la vision du pire, il nous appartient donc de proposer l’indispensable innovation économique. Parce que l’histoire a souvent brouillé les cartes, il est essentiel de jouer la dimension géostratégique de la péninsule du sud. La région méridionale doit être réintroduite comme une échelle de référence pour inverser l’ordre qui nous condamne au non-développement durable. Il y a donc urgence de replacer l’économie dans un cadre éthique clairement défini pour mettre en œuvre une reconstruction de la région méridionale en résonance avec ses fondamentaux historiques et culturels qui structureront de façon pérenne son développement économique. Au nom d’une richesse accessible à tous dont la péninsule du sud a les ressources naturelles, foncières et patrimoniales, ce choix crucial requiert cohésion, sens du collectif et esprit d’innovation. Nous le réaffirmons.
V
Le SMADD est-il votre création ou un concept existant ?
La gestion de l’espace et l’occupation des sols sont des projections des rapports sociaux. Les politiques publiques doivent concilier d’une part, la protection et la mise en valeur de l’environnement et du patrimoine, et d’autre part, le développement économique et le progrès social. L’intercommunalité, la cohérence territoriale et la transversalité doivent être les principaux fils conducteurs de l’aménagement du territoire de la péninsule du sud. En ce sens, il faut faire appel aux outils d’ingénierie territoriale qui ont fait leur preuve un peu partout à travers le monde.
VI
Avez- vous une idée du coût de la reconstruction de la péninsule du Sud ?
Les pertes en vies humaines sont lourdes. Tout semble indiquer que la moitié du patrimoine bâti a été détruit y compris les ruines du Camp-Gerard et la Citadelle des Platons. Juste à titre d’exemple, au lendemain du tremblement de terre, le ministre de la planification annonçait que sept maisons sur dix avaient été détruites dans les Nippes. Deux jours plus tard, l’ouragan Grace passait sur l’épicentre du séisme et faisait souffler des vents et tomber des tonnes d’eau sur un espace déjà sinistré. Il s’agit, par conséquent, d’une triple catastrophe s’il faut faire l’agrégat des dégâts liés aux secousses sismiques, aux inondations et à l’inefficacité de l’action gouvernementale. Il faut s’attendre à une note très salée.
VII
Vos attentes par rapport à votre dernière publication ? Avez-vous un plan d’action ?
Les enjeux sont énormes et les défis, de taille. Notre dernière publication procède de l’impérieuse et légitime nécessité de créer les conditions de la concertation autour de la reconstruction de la péninsule du sud. La légitimité et la crédibilité de toute démarche résident d’abord dans l’adhésion de péninsulaires convaincus. Nous plaçons donc notre initiative au cœur d’un maillage de volontés et d’énergies disponibles. Merci au Nouvelliste et à très bientôt
Alin L . Hall, MSF, BFin, CFP