Quand, en 1492, Colomb aborda l’île qu’il appela La Española (Haïti et Saint-Domingue), il se trouva face à un véritable verger peuplé par une grande population indigène qui y vivait pacifiquement.
La déforestation de l’île, afin de faire place aux cultures des conquistadors, et l’élimination physique des natifs, remplacés ensuite par des Africains réduits à l’état d’esclaves, débutent cependant dès 1500. Voici qui explique comment, alors qu’au moment de la conquête la forêt couvrait 80 pour cent du territoire, elle n’en occupe au début du XXIème siècle plus que 2% à Haïti et 30% à Saint-Domingue, avec de terribles conséquences écologiques et climatiques.
Il y a un peu plus de 200 ans, le 1er janvier 1804, la population de Haïti abolit l’esclavage et se proclama République indépendante.
L’abolition de l’esclavage suscita la crainte que cela devienne un exemple parmi les esclaves des possessions coloniales européennes voisines ainsi qu’aux Etats-Unis, où l’esclavagisme exista jusqu’à la Guerre de sécession, au cours des années 1860. Pour ces raisons, Haïti eut à subir une longue période d’isolement international.
En 1802, Napoléon, qui avait pour but de rétablir l’esclavagisme dans les colonies, envoya à Haïti une expédition militaire de 24’000 hommes, sous le commandement du Général Leclerc, qui obtint au début la soumission d’une partie des Haïtiens suite à la fausse promesse de ne pas rétablir l’esclavagisme.
Toussaint Louverture, de concert avec l’autre partie des Haïtiens, ne se laissa pas tromper ; ensemble, ils luttèrent contre les Français avec des réussites inégales. Cependant, lorsqu’ils apprirent l’arrestation de Toussaint Louverture, sa déportation en France et le rétablissement de l’esclavagisme dans d’autres colonies comme la Guadeloupe, les rebelles reprirent de plus bel les combats, mirent en déroute l’armée envoyée par Napoléon et entrèrent finalement à Port-au-Prince en octobre 1803. Les forces françaises, qui avaient perdu plusieurs milliers d’hommes, y compris le Général Leclerc et divers autres généraux, évacuèrent l’île en décembre 1803.
Depuis lors et jusqu’à ce jour, les Haïtiens ont eu à subir des invasions (celle des EU de 1915 à 1934), des dictatures sous le haut patronage des Etats-Unis, des coups d’Etat et de nouvelles invasions.
Haïti connaît une longue histoire de vols d’enfants, d’adoptions illégales, y compris des suspicions fondées de trafic d’organes d’enfants.
On constate actuellement de nombreuses transgressions du principe de l’« intérêt supérieur de l’enfant » : le vol d’enfants, l’accélération des procédures d’adoption et l’expatriation d’enfants à des fins humanitaires présumées. Tout cela en violation de la Convention relative aux droits de l’enfant, de la Convention sur l’adoption internationale, des Directives du Bureau du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) sur la protection des enfants en cas de conflits armés ou de catastrophes naturelles et des recommandations de l’UNICEF. Le HCR et l’UNICEF soutiennent qu’en des circonstances pareilles à celles que traverse Haïti, il y a lieu de PARALYSER les procédures, de ne pas en commencer de nouvelles, de ne pas utiliser de façon indue et abusive le qualificatif d’orphelins, sinon d’« enfants non accompagnés » jusqu’à ce qu’on sache avec certitude le sort subi par leurs parents et leur famille proche. Et, ces agences insistent sur le fait qu’il ne faut pas expatrier pour éviter qu’au traumatisme de la catastrophe s’ajoute pour eux celui d’une séparation brutale de leur milieu de vie habituel et une rupture de tous leurs liens familiaux.
Les Pays-Bas ont emmené 109 enfants d’Haïti qui, à première vue, étaient déjà en cours d’adoption, les Etats-Unis en ont amené 53 à Pittsburg « pour améliorer leur état de santé » quoique, selon certaines informations, cela pourrait aussi faciliter l’adoption de ceux d’entre eux qui réuniraient les conditions pré-requises. Cela revient à dire que ces 53 enfants ni les éventuels suivants n’étaient pas alors engagés dans un processus d’adoption. La France en a déjà expatrié plus de 120, apparemment suite à une « accélération » du processus d’adoption.
Selon une porte-parole de l’UNICEF, Véronique Taveau, la politique de l’organisme international est de rechercher la réunification de la famille à tout prix et, pour cette raison, elle a exprimé sa préoccupation face à la décision de quelque pays d’accélérer les démarches d’adoption.
Y compris lorsque les démarches d’adoption sont terminées « Les Autorités centrales des deux Etats veillent à ce que ce déplacement s’effectue en toute sécurité, dans des conditions appropriées et, si possible, en compagnie des parents adoptifs ou des futurs parents adoptifs », comme l’indique l’article 19, alinéa 2, de la Convention sur l’adoption internationale. Cela veut dire qu’en des circonstances aussi dramatiques, les parents adoptifs devraient aller chercher l’enfant adopté et non l’attendre à l’aéroport d’arrivée.
Les mines d’or planifiées dans le nord d’Haïti sont l’aboutissement de siècles d’extraction des ressources minérales, naturelles et agricoles du pays, par des envahisseurs et des investisseurs étrangers.
1492 : À sa première visite, Christophe Colomb écrit dans ses carnets de voyage que le peuple de ce qui allait devenir Hispaniola-l’île englobant aujourd’hui Haïti et la République Dominicaine-a offert aux navigateurs de l’or « avec une telle générosité de cœur et une telle joie que c’était magnifique ». Tous les commentaires parlent de « grandes pépites d’or » et de « pépites grandes comme la main. »
Au cours des années suivantes, des centaines de milliers, sinon des millions d’autochtones meurent dans les mines d’or, ou de maladies importées d’Espagne.
Une décennie après la découverte de Christophe Colomb, la couronne d’Espagne était déjà en train de prélever son « cinquième » (20 pour cent) de tout l’or des Caraïbes, puis, recueille 8000 ducats d’or (environ 25,061 kg) en 1503 et 120 000 ducats (376.254 kg) en 1518.
Christophe Colomb et ses hommes ont souvent échangé des cloches et des
babioles contre des pépites d’or.
1697-1804 : Le labeur d’environ 800 000 esclaves d’Afrique vaut à la colonie française le surnom de « Perle des Antilles » grâce à l’immense richesse produite pour la couronne française et grâce au sucre, au café et à l’indigo exportés par des investisseurs français. Selon certains chercheurs, en 1789, la colonie exporte la moitié de la production mondiale de café et représente environ 40 pour cent du commerce extérieur de la France.
Un explorateur se tient près du puits d’une mine
datant du 16e siècle. Photo : Florida Museum of Natural History
1857 : Le capitaine américain Peter Duncan proclame l’île de La Navase, à l’ouest d’Haïti, territoire américain, en vertu du Guano Islands Act de 1856, qui autorise tout citoyen américain à « prendre possession… d’une île ou d’un rocher » contenant des gisements de guano « si elle est inoccupée ou qu’elle n’est pas soumise à la juridiction d’un autre gouvernement. » À l’époque, le guano, ou fiente d’oiseau, est un engrais très recherché.
La Navase fait partie d’Haïti, mais peu importe. Les États-unis réclament île et érigent une ville-entreprise pour extraire la fiente. Aujourd’hui, si la compagnie a fermé, La Navase, considérée par Washington comme un territoire américain, est toujours revendiquée par Haïti, qui en fait état dans sa constitution de 1987.
Une carte indiquant l’emplacement
de la Navasse (« La Navassa » sur
les cartes américaines). La Constitution
haïtienne la réclame comme une partie
de son territoire.
Vue aérienne de La Navasse, prise de l’espace. L’ile fait environ 5,2 kilomètres.
Image : courtoisie du Image Science & Analysis Laboratory, Centre spatial NASA Johnson
1910 : La Hayti Mines Company, sise à New York, achète la Compagnie Minière de Terre-Neuve. Pendant une période de dix ans, la compagnie exporte 436 tonnes de cuivre. Aucune autre information n’est disponible.
1911 : L’entrepreneur James MacDonald est financé par la WR Grace, ce qui lui permet de prendre le contrôle de la compagnie ferroviaire nationale d’Haïti. En échange de l’éventuelle construction d’un chemin de fer jusqu’à la ville du Cap-Haïtien, il obtient pendant 50 ans la concession des 2 km de terres bordant de part et d’autre les 320 km du futur chemin de fer, pour des plantations de bananes, et le monopole de l’exportation de cette denrée. La compagnie MacDonald émet pour 35 millions de dollars US d’obligations, garanties à 60 pour cent par le gouvernement haïtien. MacDonald échoue et prend la fuite. Pendant l’occupation américaine, le gouvernement haïtien est forcé de rembourser plus de 4 millions de dollars aux investisseurs.
1915-1934 : Les États-unis occupent Haïti. En 1913, le Président Woodrow Wilson explique que « Notre responsabilité envers le peuple américain nous force à aider les investisseurs américains en Haïti ».
En 1914, les Marines américains s’emparent des réserves d’or d’Haïti, et en quelques mois entament la plus longue occupation américaine à ce jour.
De 1917 à 1927, un territoire de plus de 1000 kilomètres carrés est cédé aux compagnies américaines, et après 1928, 1000 autres kilomètres carrés sont vendus à des compagnies américaines, grâce à une loi passée par un gouvernement fantoche permettant aux étrangers d’acheter des terres. Des dizaines de milliers de familles paysannes sont expropriées de leurs terres pour faire place aux plantations d’ananas, de bananes et de sisal. Ces plantations appartiennent à des firmes connues comme United Fruit et Standard Fuit, ainsi qu’à de nouvelles compagnies comme Haitian Products Co., Haitian American Co. Et la plupart des investissements finissent en faillite.
Pendant cette période, on assiste également à une migration massive de travailleurs haïtiens, légale ou non, vers Cuba et la République dominicaine, en quête de travail. On ne connaît pas le nombre exact, mais de 1915 à 1930, de 5 000 à 20 000 Haïtiens, surtout des travailleurs, émigrent légalement chaque année à Cuba.
1935 : La Standard Fruit and Steamship Company signent une entente de 10 ans avec le gouvernement, renouvelée pour cinq autres années. Ainsi, la firme de Nouvelle-Orléans obtient le monopole sur toute exportation de banane pendant dix ans, et sur la plupart des exportations entre 1945 et 1950. En 1945, dans la seule vallée de l’Artibonite, la compagnie contrôle directement un territoire de 3 900 hectares et achète en plus les bananes des petits paysans provenant d’un territoire de 5 000 hectares. Les agriculteurs qui refusent de produire de la banane sont souvent victimes de répression et voient leurs champs brûlés. En 1945, la banane se classe parmi les principales exportations du pays, mais la corruption des fonctionnaires, entre autres, la plongent dans un déclin graduel.
1941 : On établit la SHADA, ou Société haïtiano-américaine de développement agricole, pour approvisionner le gouvernement américain en caoutchouc et en sisal (pour la corde) dans le cadre de l‘effort de guerre déployé pendant la 2e Guerre mondiale.
La société se voit accorder un prêt de 5 million de dollars US par la banque américaine d’import-export (EXIM) et une concession de près de 60 000 hectares de terre agricole et de pinèdes, pour la coupe et la culture du caoutchouc et du cryptostegia, un arbuste à caoutchouc. La SHADA obtient également un territoire de plus de 130 000 hectares dans le nord et le nord-est, qu’elle coupe à blanc pour planter du sisal. Les paysans chassés de leurs terres reçoivent une maigre pitance – de 5 $ à 25 $ par carreau (3,19 acres) – en compensation. On coupe alors un million d’arbres fruitiers dans le sud-ouest d’Haïti (Grand’Anse). En une seule année, en 1943, plus de 30 000 familles sont expulsées de leurs terres.
Le projet caoutchouc ferme en 1945 avec un déficit de 6,8 millions de dollars. D’autres projets de la SHADA perdent plus de 2 millions de dollars la même année. La SHADA est considérée comme le pire fiasco en « développement » de l’histoire d’Haïti.
Ouvriers haïtiens dans une plantation de sisal
1944 : La Reynolds Haitian Mines Inc. obtient le monopole exclusif de la bauxite et la concession de l’exploitation d’une mine près de Miragoâne. En l’espace d’environ 40 ans, 13,3 millions de tonnes de bauxite partent vers Corpus Christi, au Texas. La bauxite haïtienne représente près du cinquième de toute la bauxite acquise par la Reynolds de 1959 à 1982. La Reynolds a accès à 150 000 hectares de terres. Des milliers de familles sont expropriées.
Le gouvernement haïtien empoche d’abord 90 cents US, puis 1,29 dollar us par tonne métrique. Quand Haïti forme, avec d’autres pays, l’International Bauxite Association (IBA), en 1974, les redevances montent une fois de plus, mais au bout de six ans, la Reynolds se retire après avoir extrait une grande partie de la bauxite, à la recherche de pays moins gourmands en redevances.
Durant ses 4 décennies en Haïti, la Reynolds n’a construit que 13 kilomètres de route et embauché qu’environ 300 personnes.
L’ancienne usine et le quai de la Reynolds, près de Miragoâne, en Haïti
1955 : La Société d’exploitation et de développement économique et naturel (SEDREN), filière de la canadienne Consolidated Halliwell, obtient un droit d’exploitation du cuivre dans la région de Mémé (Terre-Neuve/Gonaïves). Pendant 12 ans (1960-1972), la SEDREN exporte 1,5 millions de tonnes de cuivre, évaluées à environ 83,5 millions de dollars. Le gouvernement en a reçu environ 3 millions de dollars US.
À son apogée (en 1971), l’industrie minière (Reynolds et SEDREN) totalise à peine 889 employés, rémunérés au salaire minimum, soit moins de 70 cents us par jour. Tout le personnel qualifié provient de l’étranger.
L’économiste Fred Doura qualifie l’économie haïtienne d’« extraversion dépendante », ponctuée d’enclaves. À propos des mines, il écrit :
« L’industrie extractive en Haïti a été l’exemple type d’une industrie ‘enclavée’ soumise à la domination étrangère où deux transnationales nord-américaines ont exploité principalement les minerais de bauxite et de cuivre… l’impact était quasiment nul sur l’économie. » [Économie d’Haïti – dépendance, crise et développement (2001)]
Alex Dupuy, sociologue et historien, abonde dans le même sens.
Ce professeur de la Wesleyan University explique à Ayiti Kale Je dans une entrevue téléphonique, en février 2012 : « Historiquement, les investissement étrangers n’ont eu aucun impact positif sur la population haïtienne en général… D’habitude, quelques membres de l’élite haïtienne bénéficient, l’État prend sa part et tous les profits vont à la compagnie. »
« Les paysans ont de bonnes raisons de se méfier de toute proposition d’investissement étranger en Haïti, car ils savent très bien comment ces projets se sont soldés par le passé, » ajoute le professeur, auteur de « Haiti in the World Economy – Class, Race and Underdevelopment (Haïti dans l’économie mondiale : classes, races et sous-développement) ».
« Ils viennent investir ici pour leur bien et non pour le pays ni pour les paysans. Ils s’approprient les terres des paysans et leur volent leur unique gagne-pain. Alors, pourquoi les paysans leur feraient-ils confiance, à eux, au gouvernement central de Port-au-Prince, ou à quiconque ? »
En résumé, la question posée n’est pas celle d’« aider » Haïti mais celle de respecter son peuple, de le rembourser autant que possible de tout ce qui lui a été dérobé en 500 ans.
De le rembourser en argent, en reforestation, en développement agricole diversifié, en équipements, en reconstruction, etc.
Et, comme première priorité, d’évacuer toutes les forces armées étrangères de son territoire
1) Cette déclaration a été élaborée en collaboration avec M. Alejandro Teitelbaum, juriste spécialiste en droit international des droits humains.
2) Isabelle Ligner, AFP, « Haïti, exemple extrême de déforestation et de perturbation du cycle de l’eau ».
3) Haití After the Coup. A Special Delegation Report of the National Labor Committee. Education Fund in Support of Worker and Human Rights in Central America, New York, avril 1993.
4) Voir Situation des droits de l’homme en Haïti, Rapport de l’expert indépendant, Annexes, Nations Unies, E/CN.4/2001/106, 30 janvier 2001, où il est fait référence à 160 000 pages de documentation saisies par les forces armées des Etats-Unis en 1994 dans des installations militaires et paramilitaires en Haïti.
5) Plataforma Interamericana de Derechos Humanos, Democracia y Desarrollo (PIDHDDD), Reprimen protestas por el salario mínimo en Haití; http://www.alterpresse.org/spip.php?article8410; Batay Ouvriye , Haití – Salario mínimo. Adital – 23.03.08; Faubert Bolívar, Alterpresse, En Haití el salario mínimo es de 70 gourdes, 2/06/09; Wooldy Edson Louidor (ALTERPRESSE, especial para ARGENPRESS.info), Haití: La lucha por el aumento del salario mínimo, 4 de septiembre de 2009.