Un éventuel retour des Français l’obsédait. D’où son mot d’ordre aux généraux : « Au premier coup de canon les villes sont rasées et la Nation entière est debout. » Des fortifications étaient érigées à travers le pays. Parfait militaire, comme le soutient le général Nemours, il avait eu aussi l’idée de construire une grande manufacture pour la fabrication de poudre à canon et à fusil. Elle devait être confiée au contingent polonais qui s’était retourné contre les Français. Il avait même voulu confectionner des canons à partir de son projet de fonderie nationale. Mais, c’est Christophe qui en fut l’héritier.
L’armée comprenait 52 000 soldats, 43 000 hommes d’infanterie, 6 000 cavaliers, 3 000 marins.
Hier, l’intégrité de notre territoire était notre préoccupation fondamentale. Elle était celle des Cacos de Charlemagne Péralte et de Benoît Batraville.
Elle était aussi celle d’une intelligentsia farouchement opposée à l’occupation de 1915. Écoutons Émile Roumer :
« Je garde souverain, dédaignant le blasphème,
Le sourire du sage et l’orgueil du rebelle. »
Voici maintenant Jean Brière qui, sur l’esplanade de la cathédrale de Port-au-Prince, galvanisa la foule venue assister à l’office funèbre célébré pour les combattants tués à Marche-à-Terre, non loin de la ville des Cayes :
« J’ai grandi, déchiré l’horrible préjugé
Qui remplace en nos cœurs la symbolique tranche
Qu’arracha au Drapeau le sublime insurgé ! »
Puis, Jacques Roumain dans son grand rêve d’élimination du capitalisme des blancs et de leurs acolytes par une révolution rouge :
« Et nous voici debout…
Marchant à l’assaut de vos casernes
et de vos banques comme une forêt de torches funèbres… »
Aujourd’hui, l’intégrité territoriale du pays n’intéresse guère grand monde. Du reste, mourir pour la terre natale est passé de mode. Symbole de la patrie, le drapeau est la nervure du sensible. Cette nervure renvoie à un transcendant : la Nation. L’Haïtien de nos jours, à quelques exceptions près, a perdu le sens de cette transcendance. Pourtant, « confondre sa vie dans les plis d’un drapeau, c’est donner un sens à sa vie. » Élite et bourgeoisie en déliquescence accordent plutôt leur préférence « au lit gluant » préparé par Martha dans le Malentendu d’Albert Camus.
Voulons-nous redevenir dessaliniens ?
Faisons passer la Nation avant nous, avant nos intérêts. Soyons prêts à nous imposer des sacrifices pour Elle.
MICHEL-ANGE MOMPLAISIR