L’occupation américaine jusqu’à la période Duvalier a mis entre parenthèses toute liberté de critique de la diplomatie haïtienne à l’égard des Etats-Unis, de la France et de l’Angleterre. La période de décolonisation qui s’ouvre vers les années 60 dicta une liberté de ton plus ou moins indépendante où l’appui de la diplomatie haïtienne s’est martelé entre les velléités colonisatrices de la France et l’influence de l’exemple haïtien en Afrique. La diplomatie de François Duvalier, très anticommuniste et soucieuse de la construction d’un rapport patron / client s’est forgée par la quête de ressources matérielles et de survie, quitte à se révéler démagogique dans l’usage de la rhétorique dessalinienne et indépendantiste. L’accueil de Sékou Touré en Haïti donne l’élan de singularité à la capacité d’être critique envers le colonialisme, après avoir craché à la face du Général de Gaulle cette profession de foi inspirée sans doute de Dessalines : « nous préférons la pauvreté dans la liberté à la richesse dans l’esclavage ». La Guinée, le seul pays membre de l’Union française où le « non » au référendum l’emporte, le 28 septembre 1958, recherchait l’appui des dirigeants noirs et François Duvalier en tira parti pour s’imposer sur la scène caribéenne recomposée par la disparition de Kennedy, la chute de Juan Bosch (novembre 1963) et Duvalier tenta alors de contourner le non-appui de Johnson à son régime par la recherche des aides des pays tels l’Allemagne, l’ Italie, Chine nationaliste, France.
Mais depuis 1986, peu de présidents haïtiens se sont montrés capables de forger une diplomatie haïtienne autonome. Néanmoins, trois ont adressé des signaux contradictoires combinant autonomie et exercice de la souveraineté sans partage avec les Etats-Unis (Lesly Manigat), volontarisme (rétablissement des relations diplomatiques avec Cuba par Jean-Bertrand Aristide) et manifestation d’un réalignement de René Préval sur la politique de solidarité d’Hugo Chavez envers les peuples des Caraïbes et de l’Amérique latine. Les remontrances de René Préval envers le représentant du secrétaire général de l’ONU en Haïti (Edmond Mulet), et envers la diplomatie américaine ont révélé des efforts de maintenir l’indépendance haïtienne, à l’ombre de la domination américaine sous-traitée par l’Organisation des Etats Américains et l’Organisation des Nations Unies.
A l’heure de la mise en place d’une nouvelle présidence contestée, ne pouvons-nous pas nous risquer à saisir quelques priorités pour la politique étrangère haïtienne- c’est sans doute utopique.
La première priorité pour Haïti est d’inscrire sa diplomatie dans la recherche d’un statut qui correspond au passé d’Haïti au 19ème siècle : une nation souveraine. On est certes dans un monde global où règne l’interdépendance entre les états et la dépendance des Etats faibles de la communauté internationale y compris les Etats-Unis. Ainsi, une réflexion doit être engagée autour de la restauration de la souveraineté par la mise sur agenda des réformes de la Police Nationale, de l’Armée, de la Justice. Les axes de cette réflexion sont ceux de l’exercice des fonctions de sécurité du territoire national, du contrôle des frontières, du contrôle des flux d’haïtiens qui traversent par hordes menaçantes et téméraires des frontières les plus dangereuses des Etats frontaliers. Les négociations au sein de l’Organisation des Nations Unies responsables de la propagation du choléra en Haïti pourraient être ainsi engagées en vue d’une totale réparation, précédées d’un dialogue extensif auprès des diplomates des pays latino-américains, africains, asiatiques, en vue de donner à Haïti sa capacité de recouvrer sa souveraineté. La restauration de la souveraineté est plus que nécessaire pour définir une politique étrangère souveraine.
C’est un fait qu’Haïti est un Etat faible frappé de délabrement institutionnel généralisé. Mais la faiblesse n’est pas une fatalité. D’autres pays ont eu le courage d’affronter le poids dominant des puissances, de le dépasser. A condition d’avoir des élites responsables, courageuses et patriotes. L’histoire n’est pas effacée, elle est soumise plutôt à d’autres moments de réécriture. C’est plutôt en assumant ce rôle passé qu’Haïti peut, comme poids dans son projet autonome de survie, réécrire sa nouvelle trajectoire, redessiner ses rapports au monde par le jeu de la diplomatie sur tous les plans. La liberté des idées, la liberté de circulation des élites haïtiennes, à l’heure de la mondialisation, sont des garanties puissantes à la construction d’une pensée autonome et réelle qui corresponde à l’âme haïtienne.
La seconde priorité est d’inscrire Haïti dans sa globalisation par les recompositions des diverses formes de partenariat expérimentées dans d’autres contextes. Trois îlots prioritaires se précisent : repenser ses relations avec les Etats-Unis d’Amérique sans crainte ni rupture, recomposer ses relations avec l’Afrique et l’Europe en quête de synergie fructueuse, revoir les relations avec la République dominicaine à la hauteur des ambitions d’Haïti et de sauvegarde de ses intérêts, par un accord moratoire avec celle-ci sur le renvoi des migrants haïtiens. Pour y parvenir, les intellectuels haïtiens présents dans les universités étrangères, adhérant à des centres de recherche universitaires anglo-saxons, la reconstruction d’une société civile, la revitalisation des forces paysannes en Haïti, le militantisme des acteurs de la diaspora sont des atouts sur lesquels Haïti pourrait s’appuyer.
Haiti reste dépendante des forces politiques et économiques exterieures que ce soit des Etats ou des organisations internationales. En effet, le chaos social, dans lequel elle demeure, offre des opportunites aux acteurs internationaux pour intervenir dans ses affaires internes. Ainsi sa difficulte a mettre en place un système démocratique et le chaos économique dans lequel l’ont plonge les differents gouvernements qui se sont servis d’elle pour s’enrichir, sont autant d’alibis pour les puissances etrangères pour brandir leur droit d’ingerence.
Haiti est-elle pour autant condamnee a demeurer dans le chaos qu’elle vit aujourd’hui ?
Il est aujourd’hui tout à fait clair que la diplomatie haïtienne doit se réorienter vers des pistes de développement au lieu de se cantonner dans une politique corrompu,stérile,passive et inutile qui, jusqu’ici, n’a même pas permis de refaire l’image du pays sur l’échiquier international.
Jacques NESI