Claude Moise revient à la charge. Encore une fois, sur la question constitutionnelle dont il a fait le centre de ses recherches depuis plus de trois décennies. Cette fois-ci, il nous livre un ouvrage, inattendu, riche sous le titre « Les trois âges du constitutionnalisme haïtien ». Une autre publication de référence pour ce travailleur intellectuel acharné. Un autre classique pour l’auteur de “Constitutions et luttes de pouvoir en Haïti” (1988) et “Une Constitution dans la tourmente” (1994). Un autre livre de référence pour les chercheurs et les étudiants. Un ouvrage pour la postérité dont les pages nous font revivre l’histoire du constitutionnalisme haïtien aux 19e et 20e siècles.
Pour le professeur, les trois âges de la constitution sont des bornes chronologiques à l’intérieur desquelles s’articulent tous les événements constitutifs du processus de la formation de l’État-nation d’Haïti. Dans ce livre, Moïse observe les grands moments de ruptures et des facteurs de continuités pour « rendre compte du poids de l’histoire » écrit-t-il. Arguments à l’appui, il montre que les batailles constitutionnelles à travers le temps n’étaient pas seulement le fait des manœuvres de nos politiciens et que les luttes pour l’instauration d’un Etat de droit traversent toute notre histoire politique. Chemin faisant, il nous rappelle la brûlante nécessité de repenser le cadre de la gouvernance du pays. Dans cet essai à la portée de tous, il clarifie les problèmes de structuration de l’État de droit en conformité avec certaines exigences de progrès social et de développement économique.
Cet ouvrage[1] vient à point nommé. Aujourd’hui, la Constitution occupe tous les esprits en Haïti. Sur l’échiquier politique, de part et d’autre, un consensus a émergé : la nécessité de réformer la constitution. Mais le débat fait rage sur la meilleure des formules à adopter pour la révision de la charte fondamentale. Une majorité d’observateurs avisés et d’acteurs clés de la société civile estime que toute tentative de fort-signe de l’Exécutif est vouée à l’échec sans un compromis large et une implication participative des forces vives de la nation incluant le secteur politique.
En tout état de causes, ce texte de Moïse devrait apporter un éclairage à celles et ceux qui auront à se pencher sur ce problème fondamental dans un mois, un an ou deux ans. L’impasse totale actuelle est l’expression non simplement d’une crise politique mais d’une crise de régime qui ne sera pas résolue à travers des élections. La meilleure voie est d’établir de nouvelles règles du jeu mais dans le cadre d’une concertation nationale des secteurs organisés de notre pays aujourd’hui embourbé dans une crise multiple (politique, économique, sociale, institutionnelle, sécuritaire…). Toujours selon Claude Moïse, tout passage en force ne serait « qu’une voie de garage comme on en connait dans notre histoire et qui jalonne nos échecs ».
Dans son livre, le professeur estime que la loi-mère doit faciliter la cohabitation fluide de trois pouvoirs responsables, tout en cherchant à éviter deux écueils qui reviennent souvent dans notre histoire : la dilution improductive du pouvoir ou la concentration excessive qui débouche sur un autoritarisme néfaste. En introduction de ce remarquable ouvrage sur l’histoire constitutionnelle, Claude Moïse nous rappelle aussi que les différentes assemblées constituantes haïtiennes ont été formées dans le contexte de grands bouleversements politiques (1801, 1806, 1843, 1867, 1879, 1932, 1946, 1957, 1987). Elles ont été appelées soit par un général victorieux (Florville Hyppolite, 1889) soit un Président nanti de pouvoirs exceptionnels au lendemain d’une crise politique majeure (Paul Magloire, 1950).
Dans les deux cas, il fallait produire une nouvelle constitution sur mesure, dans l’intérêt du puissant du jour. Aujourd’hui, cette option n’est plus possible. Il faut un consensus national. C’est d’ailleurs cette nécessité qui a guidé mon action en tant que Président de la Commission sur l’amendement de la constitution de la Chambre des députés entre 2017 et 2019. Cette commission a eu comme préoccupation de tous les instants le souci de recueillir les réactions, suggestions et propositions des secteurs vitaux de la société pour en faire les matériaux à partir desquels les 30 recommandations d’amendement ont été rédigées à l’adresse du Parlement. Le professeur Claude Moïse m’a fait un grand honneur, celui d’assister la commission en tant que consultant senior. Ce fut le privilège de toute une vie que de travailler aux côtés de ce patriarche, ce patriote tant apprécié de tous pour ses compétences mais surtout sa sagesse, son intégrité, sa simplicité et son patriotisme.
La Commission lui doit la qualité de ses recommandations qui sont « Substantielles » en ce sens qu’il est proposé un nouveau système pouvant rééquilibrer les pouvoirs, un système novateur qui facilitera la gouvernance et la transparence tout en tenant compte des acquis de la décentralisation, un système qui renforcera l’inclusion effective des Haïtiens vivant à l’extérieur. Nos propositions d’amendements, fortement inspirées des réflexions de Claude Moïse, étaient si osées qu’elles participaient d’une farouche ambition de refonder la nation. Et Si Claude Moïse nous offrait, à travers ce nouveau livre « les trois âges du constitutionalisme haïtien » les véritables clés de la compréhension du problème constitutionnel haïtien. Ce livre vient à point nommé !
[1] Claude Moïse : Les trois âges du Constitutionnalisme haïtien –Indépendance, occupation étrangère, démocratie : Ruptures et continuités.
Éditions du CIDIHCA, Montréal, 2019
[1] Claude Moïse : Les trois âges du Constitutionnalisme haïtien –Indépendance, occupation étrangère, démocratie : Ruptures et continuités.
Éditions du CIDIHCA, Montréal, 2019
Publié le 2020-06-26 | Le Nouvelliste
Jerry Tardieu