Sommes-nous conscients du malheur qui attend la future génération qui devra diriger Haïti ? Sommes-nous conscients du péril en gestation de toute une culture ? Sommes-nous conscients de l’héritage historique qui nous ait légué ? Sommes-nous conscients des responsabilités qui incombent à l’Etat et à chacun d’entre nous sur l’éducation de nos enfants ? Tels sont les questionnements qui nourrissent mon quotidien suite à mes observations.
Il suffit de regarder comment fonctionne la société Haïtienne pour mesurer le niveau d’échec d’un système éducatif avilissant et dénaturant. Le mal est profond, il gangrène toute une génération en danger de mort intellectuel culturel et morale qui tente désespérément par tous les moyens de sauver le peu de dignité et d’espoir qui lui reste.
Il est des moments où je me demande à quoi sert véritablement la devise nationale : « UNION FAIT LA FORCE ». Ces valeurs fondatrices de notre République sont royalement bafouées et mises aux calendres de l’histoire. Ce serait peut de dire qu’aucune de ces valeurs n’est une réalité palpable en Haïti. Pire, qu’elle soit présente dans la conscience des Haïtiens.
Il est écrit que les valeurs d’une République sont enseignées ou transmises à l’école de la République c’est-à-dire l’école publique. Si cette dernière est malade dans le fond et dans la forme, alors on peut aisément comprendre la cause de toutes nos difficultés actuelles. Une bonne éducation facilite la vie en société, le partage des mêmes valeurs, l’acceptation de l’autre dans sa différence, le sens du devoir et de la justice, le sens de la responsabilité et du travail, l’attachement à sa culture et à son héritage historique. Si l’école de la République est dénuée de tout cela, tôt ou tard notre société ne connaitra que ruines cendres et larmes.
Si l’Unité est la première valeur de notre République c’est parce qu’elle a une importance capitale, c’est la pierre angulaire de notre République. C’est le socle sur lequel doit être bâti la nation Haïtienne compte tenu de sa diversité ethnique. Que de larmes chaudes de désolation quand on constate qu’elle est devenue une vue de l’esprit, un vain mot inscrit dans la constitution.
A quoi sert-il d’avoir une devise nationale si elle n’a d’utilité que de nom ? Pourquoi scander haut et fort que nous sommes une République quand on ne respecte pas ses principes cardinaux ? L’éducation garantit la pérennité d’une République à travers la diffusion et la compréhension de ses valeurs. En Haiti nous en sommes bien loin.
Commençons par la base. Regardez nos familles, le socle de toutes sociétés humaines. C’est de là que part l’éducation de base d’un enfant. D’après mes observations, les familles Haïtiennes connaissent la désunion, les membres font du politiquement correct pour éviter d’éclater le reste d’unité encore existante.
Etant le plus nanti de la famille, le benjamin en devient l’aîné. Quelle absurdité ! Sans lui aucune décision importante ne peut être prise. L’argent qui devait servir à élever et solidifier socialement les membres d’une famille, devient le moyen de les écraser. La jalousie s’est immiscée sournoisement dans les rapports familiaux pour une affaire de baccalauréat, de travail ou pis de femme. Nous sommes tombés très bas pour des futilités et la vanité. Conséquences : Tout s’effrite autour de nous, les murs qui clôturaient nos familles se lézardent au fil des années sans qu’aucune réparation ne soit faite ni envisagée.
Plusieurs familles gabonaises ont échoué dans le maintien et l’inculcation de l’unité. Cet échec n’est pas à imputer à l’Etat ni à la République mais plutôt aux membres de nos familles respectives qui sont solidairement responsables de cet état de fait. Toutefois si la famille échoue dans son devoir, l’école de la République ne peut échouer dans ses responsabilités au risque de condamner toute une jeunesse. Malheureusement nous en sommes là. L’école de la République faillit par incompétence et / ou par manque de vision à ses devoirs régaliens. La jeunesse se retrouve ainsi coincer entre une famille en perdition et une école de la République irresponsable.
Que peut-on espérer d’une jeunesse traumatisée par ceux qui sont censés les protéger et les éduquer ? Comment espérer le meilleur alors qu’elle vit le pire ? Regardez dans nos écoles primaires, dans les collèges et lycées, les enfants sont contraints à s’adonner aux vices pour évacuer inconsciemment le traumatisme qu’ils subissent. Le constat est amer : Les grossesses précoces sont courantes, Le niveau scolaire est très bas c’est pourquoi le taux d’échec et de redoublement sont parmi les plus élevés du continent africain. La cupidité et « l’argent facile » sont légion, La déperdition scolaire atteint des niveaux inquiétants, le sexe l’alcool , les gangs et les drogues sont désormais sans tabou.
En dépit de ce constat ahurissant voire alarmant, nous continuons d’être divisés au lieu d’être unis autour d’un idéal que nous rêvons pourtant tous. On se craint, on se méfie toujours de l’autre, on le soupçonne de sorcellerie, d’avoir le « mauvais cœur ». Que des préjugés. Je reste convaincu que seule l’absence d’une bonne éducation donne naissance à de telle considération.
Nous semblons être incapables de comprendre que c’est ensemble que nous serons prospères et unis et c’est aussi ensemble que nous serons pauvres et désunis.
La division de la société Haïtienne n’est que le reflet de la division dans nos familles amplifiée par les divisions politiques et disparités économiques qui perdurent depuis de longues années. Quelle société sommes-nous devenues ? Une société hybride, perdue entre mondialisation et tradition. Une société qui perd ou vend son âme pour ressembler à une autre qu’elle ne connaît point. C’est ce que l’on appelle une société complexée.
Insécurité et violence en Haïti, deux facettes d’une même médaille
Avant d’aller plus loin, il est important de faire la démarcation entre la violence et l’insécurité. En effet, ce sont deux leviers inséparables qui pourrissent le quotidien de la population. La violence se réfère aux actes tandis que l’insécurité est liée aux conséquences de ces actes, se qualifie d’émotion (Rouleau, 1997). Cette émotion, selon l’auteur, trop souvent négligée, influence les décisions des individus de fréquenter un lieu, de se promener dans un espace public ou non, ou de voyager dans un pays plutôt que dans un autre. Donc, l’insécurité est un sentiment qui envoie à l’instabilité qui paralyse la personne affectée. Ce sentiment d’insécurité est considéré, selon Peyrefitte (1977), comme une «angoisse cristallisée sur la peur d’être victime d’un crime» (Garoscio, 2006, p.33) d’une violence, d’une perte d’emploi. Pendant les dix dernières années, l’insécurité et la violence touche une bonne partie de la population. Qu’elle soit verbale, physique ou psychologique, ce sentiment puise sa force selon une perception fragmentée de la réalité haïtienne, influencée par le vécu de la personne. Par exemple, une personne directement victime d’un acte de violence a peur et se sent en insécurité dans son environnement immédiat ou externe. La violence peut être ressentie comme lointaine (elle touche un inconnu) ou proche (elle touche un parent, un ami), directe (une agression physique) ou indirecte (le vol d’un bien). En Haïti, les médias diffusent toutes les informations, sans donner la peine de savoir les impacts sur la société et le tourisme. Des fois, on se demande si, les moyens de communication, les médias ne jouent pas un rôle prépondérant dans le développement du sentiment d’insécurité chez les gens, par rapport à la façon souventes fois sensationnelle dont elles abordent la violence et l’organisation sociale des espaces (Garoscio, 2006). Le climat d’insécurité et de violences qui sévit en Haïti pousse les haïtiens à vivre au quotidien dans l’angoisse et la peur. Ce qui déstabilise leur quotidien et diminue la qualité de leur vie. L’école haïtienne n’est pas épargnée par ce problème, par exemple, Vant bef info a rapporté qu’un écolier est blessé le 4 novembre 2021 par balle en pleine salle de classe. Certains sont kidnappés, d’autres violés au cours de leurs activités scolaires, par des inconnus. Soit ils les tuent, soit ils les libèrent contre des rançons. Ce qui décapitalise leurs parents et les déstabilise à tous les niveaux de leur vie.
L’insécurité des rues, un véritable fardeau pour la société Haïtienne
Partout au pays et en particulier à Port-au-Prince, la capitale d’Haïti, la situation sécuritaire est extrêmement alarmante. Depuis un certain temps, des groupes armées se réclament les propriétaires de certains territoires et établissent leur autorité en intimant l’ordre aux riverains quand circuler ou non dans des endroits de la capitale. Leurs activités déstabilisent le gouvernement et paralysent les activités socio-économiques du pays. Le Cadre de Liaison Inter-Organisations CLIO (2021), dans un communiqué de presse, a indiqué que près de 19.000 personnes (femmes, enfants, personnes âgées et handicapées), sont en déplacement pour se protéger contre la violence dans leurs quartiers. Ils se réfugient, entre autres, dans d’autres quartiers plus sécuritaires où ne règnent pas la promiscuité.
Dans les rues, personne n’est exempt. Des gangs ouvrent le feu à volonté et prennent des passants en otage pour ensuite exiger de fortes sommes d’argent en échange de leur liberté. L’école, un espace inviolable, n’est pas épargnée. Les gangs de rues imposent aux responsables des rançons exorbitantes et menacent de rendre dysfonctionnelle l’institution scolaire en cas de refus, ce qui renforce le sentiment d’insécurité chez les parents, chez les personnels de l’école, en particulier chez les élèves. Les enfants ont vécu et continuent de vivre ces situations de tension, de peur qui ne font qu’augmenter leur niveau de stress. En novembre dernier, un écolier de Carrefour Feuille, en sortant de l’école, est tombé sous les balles assassines d’hommes armés. Des élèves d’autres quartiers ont subi le même sort. Ce qui alimente davantage le sentiment d’insécurité chez les enfants pour se rendre à l’école. En fait, il ne faut pas ignorer également les conséquences que de telles situations ont sur la santé des Haïtiens vivant dans de telles conditions.
Le relèvement de notre pays, de notre société passera indubitablement par la prise en considération au plus haut niveau de l’éducation de nos enfants.
Toutes les formules politiques aussi belles soient-elles nous pourront pas faire décoller Haïti si l’école de République n’est pas remise au centre de toutes les stratégies.
C’est un appel de cœur que je lance à l’endroit de chacun d’entre vous et à l’Etat Haïtien car l’heure est grave, nous ne pouvons pas rester insensibles face à ce génocide intellectuel, culturel et moral car il s’agit de l’avenir de ce pays que nous chérissons tant.