Nous sommes aujourd’hui confrontés à une question décisive sur le fonctionnement de la Vème République. Son équilibre, son efficacité reposent tout entier sur la confiance du peuple envers le chef de l’Etat qui en est la clé de voûte. Le général de Gaulle, qui en était l’inspirateur et le créateur, ne cessait de le répéter. Dans son discours annonçant un référendum sur l’élection du chef de l’Etat au suffrage universel, le 18 octobre 1962, il déclarait : « Même si la majorité des « Oui » ! est faible, médiocre, aléatoire, il est bien évident que ma tâche sera terminée aussitôt et sans retour. Car, que pourrais-je faire, ensuite, sans la confiance chaleureuse de la Nation ? » Le président de la République, dans nos institutions, est un monarque républicain, un guide, qui incarne l’unité du pays et l’autorité, donne l’exemple, fixe une orientation et des objectifs à la Nation. En l’absence d’un « lien de confiance chaleureuse », tout l’édifice institutionnel est paralysé. Dès lors que le peuple cesse de suivre son président et s’en méfie, les réformes fondamentales, les initiatives de politique étrangères, les grands défis collectifs au prix de l’effort deviennent inconcevables.
“Il dirige en amateur, a multiplié les promesses intenables d’où le résultat aujourd’hui avec la révolte populaire”, critique Marie-Yolène Gilles, directrice d’une organisation de défense des droits humains.
Pour promouvoir son programme baptisé “Caravane du changement”, Jovenel Moïse a multiplié depuis mai 2017 les déplacements en province qui ont été autant d’occasions de promesses populistes. Comme en juin 2017, par exemple, avec l’assurance de fournir de l’électricité 24h/24 sur l’ensemble du territoire dans un délai de deux ans.
Dans un rapport publié fin janvier, la Cour supérieure des comptes – qui a enquêté sur la gestion de fonds prêtés par le Venezuela à Haïti depuis 2008 – a noté que l’entreprise Agritrans, un temps dirigée par M. Moïse, avait été payée pour réhabiliter une route, mais que le contrat pour ce chantier n’avait pas pu être retrouvé par les magistrats.
“Il était totalement inconnu du grand public mais la candidature de Jovenel Moïse a attiré l’attention de plus d’un, car il avait des moyens”, se souvient Marie-Yolène Gilles.
S’il était un homme d’Etat, d’une autre époque, viendrait le moment où il poserait la « question de confiance » au peuple – référendum, ou élections législatives anticipées – en mettant son mandat en jeu. Ce scénario est bien entendu à exclure. Il faut bien reconnaître qu’il n’est pas le premier à subir la disgrâce populaire sans en tirer les conséquences: l’impopularité présidentielle est la règle et la confiance dans le président, l’exception. En vérité, l’uniforme du souverain républicain ne convient qu’à des personnages d’exception, pourvus d’une légitimité historique à l’image du général de Gaulle, qui incarnait la France depuis l’appel du 18 juin. Le prochain président d’Haiti, s’il veut éviter de sombrer à son tour dans la tragédie et l’impuissance, devra être celui d’un rééquilibrage des institutions avec un chef de l’Etat qui préside, notamment les affaires extérieures, évitant ainsi d’incarner les difficultés, les échecs et les souffrances du quotidien, et de s’exposer à la vindicte populaire, et un premier ministre (ou vice président )puissant, maître de la politique intérieure, tenant le gouvernail du pays, avec le soutien d’une majorité et sous le contrôle du Parlement, assez courageux et désintéressé pour risquer l’impopularité, et s’imposer dans l’histoire comme l’homme du pays, s’il réussit dans sa mission. Toutefois, il faut désamorcer la névrose présidentielle qui ronge la vie politique Haitienne et soumet l’intérêt général aux fantasmes mégalomaniaques de politicard(e)s sans envergure.