Le sous-texte de ce traitement médiatique se devine aisément : « décidément, ces Noirs sont incapables de se gouverner ; c’est encore le bordel, et il va nous falloir à nouveau intervenir ». Toutes les interventions des acteurs sur place (que j’ai tenté de relayer [3]) peuvent se lire dès lors comme la volonté de contrer cette lecture impériale, en remettant au-devant de la scène ce que celle-ci, justement, évacue : l’histoire, la responsabilité de l’international, et l’action des Haïtiennes et Haïtiens.
En soutenant jusqu’au bout Jovenel Moïse et son calendrier électoral, la communauté internationale a légitimé son pouvoir, validé sa stratégie de pourrissement, et méprisé la soif de changement de la majorité du peuple haïtien. On fait de la pauvreté et de la violence, de la corruption et de la faillite de l’État une fatalité pour ne pas voir qu’ils sont les conséquences – sinon les instruments – d’une politique, soutenue par l’international. Pour ne pas voir surtout que celles et ceux qui luttent contre la misère et l’impunité, l’insécurité et l’autoritarisme, et qui portent l’espoir d’un changement, se sont soulevés depuis l’été 2018 pour affirmer la souveraineté populaire contre Jovenel Moïse et l’international.
Révélatrice est la prise de position des États-Unis, moins de vingt-quatre heures après l’assassinat, exigeant le respect des échéances électorales, prévues fin septembre. Le conseil électoral en charge de leur organisation est inféodé au pouvoir, plusieurs centaines de milliers d’électeurs et électrices ne sont pas inscrits sur les listes, les gangs contrôlent une grande partie de la capitale, aucune condition n’est réunie, et les Haïtiens et Haïtiennes ne veulent pas de ces élections ? Qu’importe. Preuve s’il en était encore besoin de la posture idéologique des États-Unis : ce sont leurs élections. Il faut un gouvernement, aussi illégitime soit-il, qui assure la « stabilité », en servant de courroie de transmission, et en appliquant des politiques, très largement imposées par Washington.
Frederick Thomas