Georges Anglade, un des fondateurs du Département de géographie de l’UQAM, est l’un des membres les plus connus de la communauté haïtienne de Montréal à avoir péri dans cette catastrophe. L’analyse de l’émigration haïtienne traverse toute son œuvre. En 1983 déjà, il écrivait : « j’ai vu le potentiel de complémentarité d’une diaspora dont les possibles liaisons sont encore à creuser par delà la mobilisation des énormes transferts à des fins productives et de réserves de devises (je continue à plaider pour l’imagination et la créativité nécessaires à l’utilisation intelligente, un jour, du potentiel des compétences de la diaspora) » (Éloge de la pauvreté, Liber, p. 47).
Le début du siècle marquera un tournant important dans sa réflexion : « Je crois que la lecture sociologique dans le futur sera plus pertinente que celle géographique du dernier quart de siècle », déclarait-il dans une entrevue accordée au Nouvelliste, le 7 mars 2002. Ce changement d’approche l’amènera à étudier la diaspora haïtienne en relation avec la pyramide sociale plutôt que par rapport au territoire, et à faire deux grands constats à l’effet que, d’une part, les classes moyennes qui font si cruellement défaut à Haïti existent, mais elles sont dans la diaspora et que, d’autre part, le principe moteur de l’économie nationale est devenu le flux des transferts de cette diaspora. Ces constats le conduiront à la conclusion suivante : « Autant la situation du pays haïtien au sens strict, la Terre-mère des dix millions de personnes sur les 27 700 km2, est celle d’une grande désespérance sans aucune issue raisonnable, autant une Haïti pensée à l’échelle de son nouvel espace dans le monde possède des atouts sérieux » (Terra incognita haïtiana, p. 20).
L’ampleur de la catastrophe du 12 janvier 2010, aussi triste soit-elle, offre une chance exceptionnelle de réunir Haïtiens de l’intérieur et Haïtiens de la diaspora dans une œuvre commune. À l’occasion de la réunion ministérielle en préparation de la Conférence pour la reconstruction d’Haïti qui s’est tenue à Montréal, le 25 janvier 2010, un collectif d’auteurs d’origine haïtienne publiait une lettre ouverte dans Le Devoir, le 30 janvier. On pouvait y lire : « La diaspora est la réserve de la nation blessée. Ses ressources professionnelles et techniques doivent être prises en compte pour la définition de la politique de reconstruction et la mise en œuvre de cette politique. »
À cette Conférence, le premier ministre d’Haïti, Jean-Max Bellerive, a déclaré considérer la participation de la diaspora comme une de ses priorités. Le mois suivant, il soulignait l’urgence de trouver des passerelles pour intégrer la diaspora au processus de reconstruction. Le ministre des Haïtiens vivant à l’étranger, Edwin Paraison, a souligné la contribution économique de la diaspora et sa capacité de réagir dans les moments critiques de l’histoire d’Haïti. Il a estimé que le temps était venu pour elle de jouer un rôle dans les processus de prise de décision[2].