La Banque de la République d’Haïti (BRH) a publié récemment la Note sur la politique monétaire couvrant le quatrième trimestre de l’année fiscale 2020-2021 clos le 30 septembre 2021. Cette publication rend disponibles les statistiques sur les échanges commerciaux entre Haïti et le reste du monde. Ces statistiques font état d’une augmentation de 20 % de l’importation des biens au cours des dix premiers mois de l’exercice 2020-2021 pour un montant total de 3,7 milliards de dollars américains, soit 26 % du produit intérieur brut (PIB) en gourdes courantes ou plus de 55 % du PIB réel en gourdes constantes de 2011-2012. Pour l’année fiscale 2019-2020, le PIB en gourdes constantes de 2011-2012 s’élevait à 625,6 milliards alors que le PIB en gourdes courantes était de 1 449,9 milliards.
La hausse des importations est due essentiellement à la facture pétrolière et aux importations des produits manufacturés. La facture pétrolière a crû de 27,4 % pour s’établir à 729,9 millions de dollars américains, selon la BRH. Tandis que les produits manufacturés ont vu leur valeur augmenter de 28,4 % pour atteindre un montant de 816,3 millions de dollars. Ces deux rubriques, précise la banque centrale, représentent respectivement 20,4 % et 22,2 % du total des importations, soit un pourcentage cumulé de 44,6 %.
Les exportations, elles, ont crû de 25,5 % pour les dix premiers mois de l’exercice fiscal 2020-2021 et ont atteint un total de 906,4 millions de dollars américains. Cette hausse reflète en partie la reprise de la demande mondiale après le choc provoqué par la pandémie de coronavirus. Malgré cette reprise, les exportations haïtiennes représentent à peine 24,5 % des importations. L’évolution combinée des exportations et des importations sur les dix premiers mois de l’exercice 2020-2021 conduit à une détérioration de 18,2 % de la balance commerciale qui est passée de -2,35 à -2,78 milliards de dollars américains, lit-on dans la Note.
Un article du journal « Dominican Today (1) » en date du 25 octobre 2021 indiquait que durant la période allant de janvier 2019 à janvier 2021, la valeur des exportations totales de produits dominicains de la République dominicaine vers Haïti s’élevaient à 1,64 milliard de dollars américains. À l’inverse, les exportations haïtiennes vers la République dominicaine se chiffraient à la modique somme de sept millions de dollars américains. Le journal puisait ces informations dans un rapport d’analyse de l’Unité d’études d’Haïti du centre d’études P. Alemán de l’Université pontificale catholique. Ce rapport met en exergue « un coefficient sans précédent, unique au monde, de 230 dollars exportés pour chaque dollar importé » en faveur de la République dominicaine.
Les trois produits les plus sollicités par Haïti durant la période ci-dessus mentionnée sont les suivants : le coton avec 263 millions de dollars américains (16,11 % du total), les plastiques et les produits manufacturés pour 204 millions de dollars (12,49 %) et les vêtements tricotés pour un montant de 187 millions de dollars (11,45 %). Ces trois postes de dépense donnent un montant cumulé de 654 millions de dollars américains, soit 40,05 % du montant total des exportations dominicaines vers Haïti au cours de la période.
Financement du déficit de la balance commerciale
La BRH a souligné que le large déficit de la balance commerciale de -2,78 milliards de dollars américains a été principalement comblé par les transferts privés sans contrepartie de la diaspora qui ont augmenté de 21 % pour l’exercice fiscal 2020-2021. Ces transferts ont atteint un montant total de 3,3 milliards de dollars américains. Selon la note sur la politique monétaire de la BRH, « la progression observée au niveau des transferts privés sans contrepartie, jointe aux interventions de la BRH sur le marché des changes, a permis d’alimenter l’offre de devises et de limiter, par conséquent, la dépréciation de la gourde sur le trimestre sous étude ».
Avec la hausse des transferts, la diaspora ne fait pas que soutenir les membres de leurs familles en Haïti comme on a tendance à le croire. Ces transferts augmentent l’offre de la devise américaine sur le marché local soutenant ainsi la monnaie nationale en maintenant le taux de change à un niveau encore gérable. Les transferts de la diaspora font encore mieux : ils permettent de maintenir les réserves internationales nettes à un niveau encore acceptable pour la banque centrale. Dans une intervention au Mercredi de réflexion de la banque interaméricaine de développement (BID) en date du 6 octobre 2021, le gouverneur de la BRH, Jean Baden Dubois avait fait ressortir l’effet néfaste des chocs naturels et sociopolitiques sur les politiques fiscales et monétaires ainsi que sur le niveau de l’activité économique.
M. Dubois avait fait état des mesures envisagées par la BRH en vue de contenir la hausse des prix et la dépréciation accélérée de la gourde. Parmi ces mesures, il a cité l’alimentation du marché des changes d’un montant de 30% des devises provenant des maisons de transfert et les précautions prises en vue de ne pas induire une baisse trop importante des réserves internationales nettes. Celles-ci ont augmenté de 15,4 % pour atteindre 477,5 millions de dollars américains. Une progression qui s’est reflétée dans l’évolution des réserves brutes « dont le montant équivaut à plus de cinq mois d’importations », selon le gouverneur de la banque centrale. Les réserves internationales avaient diminué en raison des paiements extérieurs réalisés par la BRH pour le compte de l’État haïtien, en particulier pour l’acquisition des produits pétroliers. N’était la redistribution des transferts de la diaspora sur le marché des changes, les réserves internationales seraient encore plus faibles et le taux de change beaucoup plus élevé.
Regard sur la balance des paiements
Pour mieux comprendre l’importance des transferts de la diaspora dans la stabilité financière du pays, il faut jeter un coup d’œil sur la balance des paiements. Celle-ci est un outil de la comptabilité nationale qui retrace l’ensemble des échanges de biens, services et de capitaux pendant une période donnée entre les agents économiques résidents d’un pays et ceux du reste du monde. Il comporte trois principales composantes : le compte des transactions courantes, le compte du capital et le compte financier.
La balance des transactions courantes ou balance courante reporte tous les échanges internationaux de biens et services, les revenus de travail et de capital ainsi que des transferts courants. La balance commerciale largement déficitaire d’Haïti se trouve à ce niveau, tout comme les transferts sans contrepartie. Le compte de capital inventorie les opérations d’achat ou de vente d’actifs non financiers, comme les brevets et les transferts de capital. Ces derniers contiennent les remises de dette et les aides à l’investissement. Le solde ici est relativement faible comparé à la balance courante. Finalement, la balance financière tient compte de l’ensemble des flux financiers entre un pays et l’étranger, sous forme d’investissements directs à l’étranger (IDE), d’investissement de portefeuille, de produits financiers dérivés, d’autres investissements ainsi que des réserves nettes de change.
Théoriquement, quand on a un compte courant négatif, on doit avoir des dettes au niveau du compte financier pour pouvoir le financer. Avec l’annulation récente de la dette d’Haïti, le marché financier international est soit fermé à Haïti, soit trop coûteux. Les transferts de la diaspora constituent alors les véritables béquilles qui tiennent l’économie nationale sur un équilibre boiteux. Évidemment, la diaspora pourrait davantage contribuer au financement des programmes et projets de développement nationaux. Pour y parvenir, il faudrait une meilleure coordination entre les acteurs de la vie nationale et une meilleure organisation de la diaspora elle-même.
Aujourd’hui, la diaspora haïtienne demeure assez désorganisée malgré l’existence de nombreuses organisations qui fonctionnent souvent de façon éparse. La diaspora est donc loin d’être un bloc monolithique. Certains de ses membres participent à des stratagèmes de fraude et de corruption aux dépens d’Haïti. D’autres prennent part au financement et à l’approvisionnement des gangs armés. Un d’entre eux allait jusqu’à prétendre représenter la diaspora au sein du regroupement des gangs armés dénommé G9 et alliés. Cela donne une idée très claire de l’ampleur du travail à réaliser pour avoir une participation beaucoup plus efficace de la diaspora dans le développement national.
(1): https://dominicantoday.com/dr/economy/2021/10/25/dominican-to-haiti-exports-us1-64b-to-negligible-us7m/